Il n’y a décidément pas de limites à la mauvaise foi en politique. Et l’ubuesque débat sur la place de la France dans l’OTAN en est une nouvelle illustration.

Il n’est pas correct, d’abord, de parler, comme on le fait partout, de « retour » de la France dans l’Alliance. Et cela parce que la France, il ne faut pas se lasser de le répéter, n’a, en réalité, jamais quitté l’OTAN. Elle a quitté, en 1966, sous de Gaulle, son commandement militaire intégré. Mais elle n’a pas quitté son Conseil politique. Elle participe, depuis toujours, à la vie de 36 de ses 38 comités. Elle a des soldats sur chacun, je dis bien chacun, des théâtres (Bosnie, Kosovo, Afghanistan) où l’Alliance est engagée.

Il est absurde de dire ensuite qu’en reprenant sa place au Comité des plans de défense, qui est la seule instance majeure qu’elle continue de bouder et que concerne, donc, la décision de Sarkozy, la France perdra de son influence. Et cela est absurde parce qu’elle a obtenu, en échange, la tête d’un des deux centres de commandement stratégiques de l’Alliance (Norfolk) et d’un de ses trois centres régionaux (Lisbonne). Aujourd’hui, nous ne sommes à la tête de rien. Nous envoyons nos soldats risquer leur vie sans avoir la moindre influence sur la définition de la stratégie. Demain, ce sont des généraux français qui siégeront dans le saint des saints de l’Allied Command Transformation où se conçoivent, notamment, les nouveaux systèmes d’armement. Perte d’influence, vraiment ?

Il est faux, factuellement et simplement faux, de prétendre que la France va, ce faisant, s’aligner sur « l’Empire ». Outre que les temps ont changé depuis l’époque où l’OTAN pouvait être vue comme un pur instrument de la puissance américaine, outre que nombre des opérations qu’elle a menées (Kosovo, Bosnie, bombardement de Belgrade) l’ont été en terre d’Europe et à la demande de l’Europe, outre, enfin, que, dans un cas récent au moins, celui de l’association de la Géorgie et de l’Ukraine, on a vu l’Europe dire non à l’Amérique et, hélas, l’emporter, il est évident que c’est le contraire qui se produira. C’est en étant dans l’OTAN sans y être, en siégeant dans tous ses comités à l’exception de celui où se discutaient les choix essentiels, que la France laissait à d’autres la conduite du bateau où elle était embarquée ; c’est en y reprenant toute sa place, en y retrouvant la parole et en participant à ses débats qu’elle se donnera les moyens de peser, de faire prévaloir ses intérêts et d’aller contre, si besoin, les intérêts américains.

Il est non seulement faux mais scandaleux d’affoler, alors, les populations en brandissant l’épouvantail des « guerres dont nous ne voulons pas et où nous nous trouverons mécaniquement entraînés ». C’est scandaleux parce qu’à l’exception d’un cas (un pays de l’Alliance directement attaqué) la règle est celle de l’unanimité. C’est inacceptable car, une fois l’éventuelle intervention décidée, c’est à chaque pays qu’il appartient (sur la base du volontariat) de décider ou non du nombre de soldats mis à disposition de l’opération. Et c’est se moquer du monde car, pour ne prendre que le cas de la guerre en Irak, l’appartenance sans réserve aux structures de l’Alliance n’a pas empêché l’Allemagne de s’y opposer avec autant de fermeté qu’une France supposément forte de sa souveraine « exception ».

Et quant à l’argument selon lequel, en jouant l’OTAN, on sacrifierait le seul projet qui vaille et qui est celui de la défense européenne, c’est une autre plaisanterie. Car enfin il y a bien des obstacles à cette Europe de la défense. Mais il en est un au moins que la décision de Nicolas Sarkozy lèvera : c’est la suspicion dont nous étions l’objet de la part de nos partenaires et qui tenait, précisément, à ce choix de faire cavalier seul au sein de l’OTAN. Peut-on faire confiance à une France juchée sur les ergots d’une indépendance nationale qui s’est si souvent traduite par des amitiés contre nature (l’Irak de Saddam, l’URSS finissante, sans parler de la trop fameuse « politique arabe » du Quai d’Orsay) ? Veut-on d’une communauté européenne de défense qui se ferait au détriment de la communauté atlantique (et de notre solidarité de principe avec le camp des démocraties) ? C’est la question que se posent Hongrois, Polonais, Tchèques, mais aussi Allemands, Italiens ou Espagnols. C’est une question qu’ils n’auront, désormais, plus de raison de soulever. Et ce, pour le plus grand bien de la construction européenne et de son esprit.

Qu’un Jean-Marie Le Pen ne veuille pas entendre ces évidences, cela se comprend.

Qu’il soit rejoint par les « anti-impérialistes » façon Besancenot, cela est dans l’ordre.

Qu’un quarteron de gaullistes, de souverainistes, de chevènementistes rallie cet axe de fortune, ce n’est pas non plus très grave.

Mais que les socialistes d’une part et les amis de François Bayrou de l’autre se joignent à ce piètre concert, qu’ils tournent le dos, ce faisant, les uns à la mémoire de Mitterrand (qui s’opposa, dès 1966, à la décision du général de Gaulle), les autres à l’héritage de la démocratie chrétienne (intraitable, ce fut son honneur, sur la question totalitaire), voilà qui est plus navrant.

Antiaméricanisme pavlovisé ? Opposition systématique, sans nuances, irresponsable ? Ou incapacité, une de plus, à comprendre le monde où nous sommes entrés depuis la fin de la guerre froide ? Chacun appréciera. Et adjurera, comme ici, les siens de se ressaisir.


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