Le parti Poutine en France ? J’y reviens.
C’est le parti de ceux qui, toutes familles confondues, ne trouvent rien à redire à la réception, en grande pompe, au Kremlin, de ce criminel contre l’humanité multirécidiviste, adversaire de l’Occident, qu’est Bachar el-Assad.
C’est l’ensemble de ceux que leur lâche soulagement face à l’apparition d’un « homme fort » venant imposer son ordre dans le grand jeu syrien empêche apparemment de voir que le premier effet de ses bombardements massifs et indiscriminés sera de précipiter le flux des réfugiés venant frapper aux portes de l’Europe.
C’est la masse de celles et ceux qui, tout à leur fascination pour le nouvel « homme à cheval » (Drieu la Rochelle…), refusent visiblement de comprendre que l’une des clés de cette diplomatie armée, déployée tous azimuts et dont la Syrie n’est qu’un théâtre parmi d’autres est la volonté de prendre sa revanche sur les coupables, à ses yeux, de cette chute de l’URSS qu’il n’a jamais cessé de tenir pour la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle – pêle-mêle, les États-Unis, l’Église catholique et son pape polonais, l’Europe.
Le parti Poutine en Europe, c’est le parti de ceux qui, du coup, ne veulent pas voir le lien entre une série d’événements qui, pris isolément, ne signifient peut-être pas grand-chose, mais qui, mis bout à bout, s’inscrivent dans cette stratégie de revanche, d’humiliation et, en tout cas, de déstabilisation de l’Europe dont la moindre brèche, le moindre signe de faiblesse, sont savamment mis à profit : tel propos, rapporté par la Süddeutsche Zeitung, sur les deux jours qu’il faudrait aux troupes russes pour arriver à Varsovie ; telle annonce, le 30 juin, par le parquet général russe, de l’ouverture d’une enquête visant à « vérifier » la légalité de l’indépendance des pays Baltes ; tel propos de novembre 2014 où le locataire de longue durée du Kremlin s’interroge à haute voix sur « ce que l’on peut bien reprocher » au pacte Molotov-Ribbentrop dont un protocole secret ouvrait la voie à l’invasion par l’un de ses mentors, Staline, de l’Europe de l’Est ; le rapprochement avec la Hongrie initié, le 17 février, par une rencontre avec Viktor Orban dénoncée par des manifestants défilant, dans les rues de Budapest, aux cris de « nous ne voulons pas redevenir une colonie russe » ; les contacts répétés avec Tsipras venu lui demander, au plus fort de son bras de fer avec l’Union européenne, les 10 milliards de dollars nécessaires à l’impression d’une nouvelle drachme ; les dizaines de violations de l’espace aérien des pays européens frontaliers ; sans parler du soutien systématique à ces partis populistes, souverainistes, voire fascistes, qui sont, dans tous les pays de l’Union, les plus acharnés à déconstruire l’Europe.
Le parti Poutine en Europe, c’est le parti, bien sûr, de ceux qui, lorsque la société civile ukrainienne clame son amour de l’Europe et que Poutine, pour des raisons qui lui appartiennent et que l’on n’est pas obligé de partager, interprète cette déclaration d’amour comme un geste qui lui est hostile, prennent parti pour Poutine et contre l’Europe.
C’est le parti, que l’on hésite à dire suicidaire, masochiste, animé par la haine de soi ou par le goût de la trahison, qui regroupe tous ceux qui, à l’extrême droite mais aussi, hélas, à droite et à gauche, ne trouvent, du coup, rien à redire quand, pour la première fois depuis la guerre froide, il modifie par les armes les frontières dont dépend la sécurité collective du continent.
C’est le parti qui, quand il va chercher, pour justifier son coup de force, les thèmes d’un nationalisme linguistique (est russe qui parle russe… est allemand qui parle allemand…) que l’on pensait discrédités par la lointaine affaire des Sudètes et le nazisme, trouve la démarche frappée au coin du bon sens.
C’est le parti de ceux qui ignorent, ou feignent d’ignorer, que ce Poutine-là n’est pas seulement un ambitieux, un vaniteux, voire un nouveau tsar nostalgique de la splendeur grand-russe, mais que c’est un bâtisseur d’empire entouré d’idéologues dont la vision du monde est complexe, souvent robuste mais, en tous points, opposée à la nôtre : la force contre le droit ; l’ordre contre la liberté ; la puissance ténébreuse de la terre russe contre la thalassocratie des empires maritimes ; les vrais hommes contre les gays et autres « déviants » ; les mâles vertus de l’eurasisme contre la décadence d’un Occident miné par le mauvais poison cosmopolite et féminin.
Et le parti Poutine, c’est, enfin, la conjuration des autruches qui choisissent d’oublier que cet apprenti sorcier passé à l’offensive, ce va-t-en-guerre bien décidé à incarner une alternative à la civilisation démocratique et qui teste la résistance de ses voisins avant, un jour, de les menacer, a un outil à sa disposition qui n’a plus grand-chose à voir avec l’armée vieillie, corrompue, en voie de décomposition, dont il a hérité il y a quinze ans et dont les missiles de croisière Kalibr, tirés depuis ses navires de la mer Caspienne, ont surpris le monde par leur redoutable précision.
Ce type d’aveuglement n’est évidemment pas sans précédent.
Et les hasards de l’actualité éditoriale font que je suis en train de lire la somme de Thierry Wolton sur l’histoire du communisme et des servitudes volontaires qu’il a suscitées pendant des décennies.
Mais ce qui est confondant, c’est de voir à quel point, pour citer Jean-François Revel qui fut l’ami de Wolton et le mien, la connaissance que l’on a du passé peut être tragiquement inutile et comment les mêmes erreurs, le même entêtement dans l’ignorance peuvent se répéter – et pas toujours, hélas, en farce.
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