Bernard-Henri Lévy, un ami de l’Afghanistan
Victime de sa géographie extrêmement sensible, de son histoire douloureuse et de son sous-développement chronique, l’Afghanistan vit, depuis très longtemps, dans la turbulence et l’instabilité politique et sociale. L’invasion soviétique venant du nord, puis l’invasion des extrémistes d’Al Qaida et des talibans venant du sud, n’ont fait qu’aggraver la tragédie. A travers son histoire mouvementée, le peuple afghan a eu l’occasion d’affronter ses ennemis mais il a aussi eu la chance de découvrir ses amis. Un certain nombre de ces amis comme l’aventurier Italien Marco Polo, l’historien-aventurier marocain Ibn Battuta, dans le passé lointain, puis, l’écrivain français Joseph Kessel dans les années 1960, sont mondialement célèbres à travers leurs œuvres pour faire connaître l’Afghanistan.
Dans les années 1960, il y a eu, entre autres, des archéologues, le couple photographe célèbre Roland et Sabrina Michaud, le cinéaste Pierre Schoendoerffer, le Père Serge de Beaurecueil, quelques diplomates comme Jean-Christophe Victor, qui ont fait connaître l’Afghanistan, chacun à leur manière.
Depuis l’invasion soviétique jusqu’à ce jour, parmi les amis, peu connus ou inconnus, je peux témoigner à propos des amis français : médecins, infirmières, journalistes, photographes, humanitaires ou quelques historiens chercheurs que j’ai pu rencontrer et avec qui j’ai eu l’honneur et le plaisir de travailler comme interprète ou accompagnateur sur le terrain.
Pendant les années 80, quand je travaillais au sein de l’équipe chargée de tenir un bureau d’informations de la résistance afghane à Paris, puis, quand j’ai été en mission auprès de l’Ambassade d’Afghanistan en France (pendant la délicate période de septembre 1998 jusqu’en Mai 2002) j’ai eu la chance de connaître et de travailler avec des amis extraordinaires qui m’ont été d’un soutien moral et matériel, immense et incalculable. Il n’est pas exagéré de dire que c’est aussi grâce à ces nombreux amis que les Afghans ont eu la victoire, d’abord contre l’Armée rouge, puis contre les extrémistes-terroristes des talibans et Al Qaida. Pour témoigner correctement à propos des amis de l’Afghanistan et de leurs œuvres, j’essaierai seulement de rassembler mes informations et mes connaissances à propos de l’engagement et de l’action de l’un de nos amis, Bernard-Henri Lévy.
1981 : BHL lance Radio Kaboul Libre
Le premier contact de Bernard-Henri Lévy avec l’Afghanistan date de l’été 1981, deux années après l’invasion Soviétique. Bernard-Henri Lévy, à travers Action Contre la Faim (qu’il avait créée en 1979), avait déjà conçu, avec Philippe Roger, Gilles Hertzog et Olivier Roy, l’opération « Des mulets pour l’Afghanistan ». Mais, là, il passe à la vitesse supérieure en lançant l’idée d’émetteurs de radio financés par une souscription nationale en France et en Italie, et destinés à permettre une meilleure communication entre les commandants de la résistance à l’intérieur de l’Afghanistan ; mais surtout, une meilleure communication entre les commandants de la Résistance et la population afghane en général.
Pour en revenir aux émetteurs, ils sont conçus en Italie par le fondateur de la radio libre italienne Radio Citta Futura, Renzo Rossellini. Et les émetteurs-tests sont apportés par Bernard-Henri Lévy lui-même, accompagné de Renzo Rossellini et de Marek Halter, sur le terrain, en Afghanistan.
C’est ainsi qu’en juillet 1981, accompagné par Jean-José Puig et Olivier Roy, Lévy arrive à Peshawar, au Pakistan, où siègent les sept principaux partis de la résistance afghane et où il est, en principe, persona non grata depuis son séjour et son engagement au Bangladesh de 1971. Craignant les mauvais coups des services secrets pakistanais, il se met, à Peshawar, sous la protection de Rabbani et de ses moudjahidines.
Là, dans une maison des faubourgs de la ville transformée en camp retranché, il fait d’abord la connaissance d’Ahmad Zia Massoud, frère du célèbre Commandant, représentant son frère à Peshawar, à qui il parle de son projet de Radio Kaboul Libre. Trouvant l’idée extraordinaire et indispensable, Ahmad Zia Massoud transmet un message ultra-rapide au Commandant Massoud, dans la vallée du Panjshir.
Recevant ce message juste à temps, le Commandant Massoud qui s’apprêtait à envoyer une délégation pour une réunion au sommet à Peshawar, au Pakistan, ajoute l’idée de cette radio parmi les priorités de ses représentants tout en nommant Ingénieur Es’Haq, son conseiller politique, comme responsable pour diriger la station du Panjshir.
Quelques jours plus tard, à Peshawar toujours, chez Rabbani encore, Bernard-Henri Levy fait la connaissance de la délégation représentant le Commandant Massoud. Il y avait là, entre autres, le grand frère du Chef, Yahya Massoud, Younus Qanouni, et l’Ingénieur Es’Haq qui dirigera la Radio Libre dans la vallée du Panjshir. Pendant cette réunion, on présente officiellement le projet de quatre stations de Radio Libre qui diffuseront des émissions d’informations sur les ondes FM, dans les deux langues officielles du pays qui sont le Farsi et le Pashto. Pendant la réunion, il sera décidé que l’un des émetteurs opère dans la province orientale de Kunar, un autre dans la province de Khost au sud du pays, le troisième dans la province de Logar au sud de la capitale, et puis, le quatrième dans la vallée du Panjshir, au nord-est de Kaboul.
Parmi les quatre stations de Radio Kaboul Libre, celle du Panjshir aura un succès incontestable, puisqu’elle sera dirigée par une équipe sérieuse et ponctuelle. Les ondes de cette station couvraient une zone très peuplée allant des sommets du l’Hindu Kush jusqu’au centre-ville de Kaboul. Sa durée de vie sera de presque un an, avant qu’elle ne soit touchée par une bombe de l’aviation soviétique. Personnellement j’ai encore le souvenir et le son de ces émissions radio qui bourdonnent dans mes oreilles. A l’époque, je n’avais que 15 ou 16 ans. J’habitais dans mon village d’Astana dans le Panjshir. A 8 heures du soir, je me précipitais comme beaucoup d’autres personnes, chez un de nos villageois possédant un poste de Radio FM, pour écouter religieusement l’émission radio, pendant 30 minutes. Ces émissions de 30 minutes étaient réparties en quatre ; une lecture chantée de quelques versets coraniques, le bulletin d’informations du jour, un commentaire à propos de la situation politique dans le pays, entrecoupé par une ou deux chansons patriotiques.
Après la réunion, Bernard-Henri Lévy passe la nuit à discuter avec la délégation à propos de la géopolitique régionale et internationale, et aussi de la situation politique et militaire à l’intérieur de l’Afghanistan. Dans toutes ses interventions de l’époque, surtout celles qu’il donnera après son retour de son premier voyage en Afghanistan (septembre 1981), Lévy insistera sur l’impossible unification politique des courants de la Résistance mais sur leur nécessaire coordination militaire. Cette distinction est très importante pour lui. Il la développe, en particulier, dans une interview donnée à Jean Bothorel et parue dans Le Matin de Paris, journal aujourd’hui disparu. Et il convient d’ailleurs de préciser, au passage, que, s’il ne croit pas à l’unité politique, c’est parce qu’il voit très tôt le fossé idéologique entre les sept partis rivaux basés à Peshawar, repartis dans deux regroupements qui sont les fondamentalistes et les modérés. A l’heure où les chancelleries et les grands services secrets confondaient tout, à l’heure où la CIA armait indistinctement Gulbuddin Hekmatyar et Ahmad Shah Massoud, et où l’ ISI (services secrets pakistanais) transférait l’aide américaine dans la proportion de huit fois sur dix à Hekmatyar et de deux fois sur dix à l’ensemble des autres partis et commandants moudjahidines (et ce, alors que, sur le terrain, les hommes de Hekmatyar passaient leur temps à terroriser la population sous différents prétextes, et se battaient plus souvent contre les autres mouvements de résistance que contre l’envahisseur soviétique) Lévy a vu juste. A cette époque, les Soviétiques avaient décidé de « mettre le paquet » sur le terrain. Les forces de la Résistance, mais surtout la population civile, subissaient de lourdes pertes sous les bombardements aveugles de l’aviation soviétiques.
Quelques jours plus tard, aura lieu, en zone tribale, une simulation d’émission de Radio Kaboul libre, en présence des représentants du Commandant Massoud, et en territoire pakistanais. Lévy a besoin, en effet, de « matériel médiatique » pour répercuter son action, à son retour, dans les médias français et italien. Et il profite donc de la présence des deux frères du Commandant Massoud et de ses représentants pour faire cette toute première « inauguration ». A cette époque, Ahmad Shah Massoud n’avait certes pas l’aura et l’importance qu’il aura quelques années plus tard. Il était considéré un commandant parmi des dizaines d’autres à travers tout l’Afghanistan.
Pour mettre en place l’une des stations de la radio libre, Levy part, avec ses camarades, pour Dara, à une vingtaine de kilomètre de Peshawar, où il est rejoint par un petit groupe de Moudjahidines armés qui l’escorteront pendant les 6 jours de son voyage pour Badjawar où il a maille à partir avec les gens de Gulbuddin Hektmatyar dont c’est l’un des fiefs, puis pour la province frontalière de Kunar. Il traverse le fleuve Kunar sur un radeau de fortune ; part pour la vallée de la Pech ; puis pour la vallée de Chigal, la ville morte, détruite par les bombardements soviétiques ; et, enfin, pour Asmar et Barikot où il échappe, de peu, à un bombardement et où se fait la vraie inauguration de la radio. On a encore des images du Lévy de ces jours : barbu, enturbanné, habillé en costume afghan traditionnel…
Quelques jours plus tard, de retour à Peshawar, dans une scène digne des Cavaliers de Kessel, il rencontre cinq des Chefs des sept partis des moudjahidines en exil pour chercher à les convaincre de se mettre d’accord pour signer une charte, liée à ce qui va devenir Radio Kaboul Libre, et hélas perdue.
Rentré en France, Bernard-Henri Lévy se dépensera sans compter pour raconter ce qu’il a vu et populariser la cause des moudjahidines en lutte contre les envahisseurs soviétiques. C’est le premier épisode. Le premier temps de son rapport à l’Afghanistan.
Mai 1992 : mission humanitaire ou mission diplomatique ?
En mai 1992, deuxième étape. BHL retourne à Kaboul, avec une couverture d’Action Contre la Faim. Mais, en réalité, en mission diplomatique, envoyé par François Mitterrand prendre langue avec le Président Rabbani. François Mitterrand le charge, en marge des circuits diplomatiques officiels, de sonder les intentions des nouveaux maîtres de Kaboul, de voir ce qu’ils attendent de la France et d’étudier la faisabilité de l’implantation, à Kaboul, d’un Centre Joseph Kessel. Bernard-Henri Lévy rencontre le célèbre Commandant Massoud qui est devenu Ministre de la Défense et un personnage clé à Kaboul. C’est avec lui qu’il discute longuement le principe de la création d’un grand centre culturel sous le nom du Centre Joseph Kessel. Il est question d’un centre de conférences en trois langues (Dari, Pashto, Français) doublé d’une bibliothèque dans les trois mêmes langues et d’un bulletin d’informations régulier. Lévy est là pendant les bombardements et les combats déclenchés, depuis les montagnes, par les hommes de Gulbuddin. Il est aux cotés de Massoud un jour où celui-ci va, avec une escorte légère, visiter les nombreux blessés d’un cantonnement militaire dans le quartier Hazara et échappe lui-même, de justesse, à un attentat. Lévy quitte Kaboul in extremis, par l’un des derniers avions de la compagnie d’aviation nationale. C’est la deuxième étape.
Une fois à Paris, Bernard-Henri Lévy fait son rapport au Président François Mitterrand. Ce Rapport officiel existe. Même si, évidemment, il resta lettre morte – à cause de la chute de Kaboul aux mains de talibans et de l’instauration de « l’Émirat Islamique de l’Afghanistan », régime archaïque et rétrograde.
1998 : BHL, « Avec Massoud »
Six ans passent encore. On est en 1998. Les talibans contrôlent Kaboul, la capitale, et plus de 80% du territoire afghan. Ils sont soutenus par des centaines de mercenaires membres d’Al Qaida et reçoivent l’aide financière des pays arabes et des soutiens logistiques considérables par les militaires Pakistanais. Massoud est à nouveau dans la résistance mais est de plus en plus isolé dans le Panjshir. Presque tous les autres dirigeants politiques ou militaires des moudjahidines ont fui le pays vers l’Iran et le Tadjikistan… Le jour où la presse annonce la chute de Taloqan, la dernière bourgade qui permettait aux derniers hélicoptères de Massoud de faire escale entre Dushanbe et la vallée du Panjshir, le jour où, autrement dit, le monde comprend que Massoud est pris à la gorge et au bord de l’asphyxie, Lévy décide de retourner une nouvelle fois voire « Le Chef ».
Il m’appelle au téléphone et on fixe un rendez-vous à la Brasserie Balzar dans le quartier latin à Paris. Lors de cette rencontre nous discutons les modalités de ce voyage, sensible et compliqué. Le plus important dans ce voyage c’est que tout doit rester discret et confidentiel. Il ne faut absolument pas que les talibans ou les réseaux d’Al Qaida en Asie centrale soient informés de ce type de voyage. Le lendemain, au cours d’une conversation téléphonique, j’informe le Chef des intentions de notre ami, Bernard-Henri Lévy. Massoud trouve l’idée importante mais s’inquiète pour sa sécurité au cours du voyage. Deux jours plus tard, le voyage commence par un vol de Paris vers Tashkent en Ouzbékistan. Hasham Khan, mon collègue de l’Ambassade à Tashkent, accueille Bernard à l’aéroport et l’accompagne en voiture jusqu’en Dushanbe au Tadjikistan, d’où il prend un hélicoptère pour la vallée du Panjshir. Il reste une semaine au complet dans la vallée où il rencontre évidemment, et à plusieurs reprises, le Commandant Massoud mais aussi de nombreux autres membres et Commandants du « Front Uni pour le Salut de l’Afghanistan », qu’on appelle aussi l’Alliance du Nord. Il visitera les lignes de front sur la plaine de Shamali et le Col du Salang, puis il visitera quelques camps où des centaines de familles déplacées, fuyant les talibans et la zone de combat avaient trouvé refuge. Il assistera à quelques réunions des responsables du Front Uni et des commandants militaires. Après une semaine de voyage difficile et d’activité intense sur le terrain, il rentrera à Paris. Au cours de cette aventure, je crois qu’il a été l’un des plus efficaces parmi les amis de la cause afghane, puisqu’il a eu la chance de faire tant de choses en si peu de temps et dans une situation extrêmement grave et dangereuse. Sortira de ce voyage un grand reportage, intitulé « Avec Massoud », paru dans Le Monde ainsi que dans plusieurs grands journaux de la presse internationale. Ce sera l’un des derniers « grands » reportage sur le combat du Commandant Massoud contre Al Qaida et les talibans. Un Massoud chef charismatique et ami de la pensée. Avant de partir, les larmes aux yeux, les deux hommes se sont étreints. Bernard-Henri Lévy a dit à Massoud que mener la guerre sur le terrain ne suffisait plus ; qu’il fallait la poursuivre sur le front diplomatique ; et qu’il fallait, pour cela, qu’il vienne un jour à Paris. Lévy promet de tout organiser. Il dit qu’il viendra lui-même chercher, le moment venu, Massoud. Ok dit Massoud, mais sans aucune précision de date, en mettant, tout de même Lévy en contact avec Ingenieur Is’Haq et le Dr. Abdullah, deux de ses proches compagnons qui, le moment venu, annonceront à Lévy que le Chef est prêt… Les mois passent… Bientôt les années… Les combats continuent… Massoud est de plus en plus encerclé et de plus en isolé.
Plaider la cause afghane en Europe
Il faut dire que de nombreux amis de l’Afghanistan, y compris Bernard-Henri Lévy, Christophe de Ponfilly, Jean-José Puig, Olivier Roy, Bertrand Gallet, Mike Barry, et beaucoup d’autres disaient toujours qu’il fallait que le Commandant Massoud en personne prenne l’initiative diplomatique pour aller rencontrer les dirigeants de ce monde. Qu’aucun autre chef politique ou militaire afghan n’avait ni le charisme ni la légitimité et ni la clarté de propos pour porter le message de l’Afghanistan sur la scène internationale. Évidement les préoccupations militaires sur la ligne de front et la modestie et le caractère humble du Chef, ne voulant jamais se mettre en avant, ont toujours été des obstacles insurmontables pour aller au-delà de ces vœux pieux.
Cependant, depuis juin 2000, en étroite collaboration avec le Général Philippe Morillon, soutenu et mandaté par Madame Nicole Fontaine, nous étions sur le point de réaliser le rêve cher à nous tous : celui d’inviter Massoud auprès de l’assemblée des représentants du peuple européen, à Strasbourg. Après de longues discussions entre amis et un voyage du Général Morillon accompagné par Richard Cazenave, Jean-Michel Boucheron, le Sénateur Belge Jusy Dubié, Bertrand Gallet et Christophe de Ponfilly dans la vallée du Panjshir, nous avons réussi à le convaincre de la nécessité absolue et de l’importance de sa venue en Europe. On obtient son accord de principe, mais la date du voyage n’était pas encore décidée. En décembre 2000, je rencontre Madame Nicole Fontaine en tant que représentant permanent d’Afghanistan auprès du Parlement Européen. Lors de cette rencontre Madame Fontaine me confie l’invitation formelle pour la venue d’Ahmad Shah Massoud, qui avait aussi le titre du Vice-Président de l’Afghanistan. Dans le courant du mois de janvier 2001, accompagné de Yahya Massoud, le grand frère du Commandant, nous nous rendons à Khoja Bahaodine à sa rencontre. Extrêmement touché par la forme et le timing, il accepte l’invitation avec chaleur et enthousiasme, mais demande qu’il puisse choisir la date du voyage par rapport à la situation militaire sur le terrain.
En février 2001, les talibans dans leur folie destructrice soutenue et encouragée par les idéologues de Al Qaida et les Pakistanais, décrètent officiellement la destruction des Bouddhas de Bamyan. Ceci provoque la surprise totale dans les chancelleries occidentales et un tollé d’indignation et de condamnation internationale. Le Général Morillon me convoque à son bureau, rue Saint Dominique. Nous appelons Massoud au téléphone. Le Général lui dit que la destruction des statues des Bouddhas à Bamyan par les talibans a provoqué une onde de choc et de consternation, en particulier dans les capitales occidentales. Et qu’il faut saisir ce moment tragique pour présenter une alternative aux talibans, que c’est le moment pour avoir une meilleure tribune pour porter la voix de l’Afghanistan.
Tout en remerciant chaleureusement le Général, le Ahmad Shah Massoud confirme sa venue en Europe tout en insistant sur la confidentialité de sa sortie. Après notre réunion restreinte, nous décidons d’informer les autres membres du club des amis parmi lesquels Bernard-Henri Lévy qui venait juste de rentrer d’un voyage en Afrique.
Le Parlement européen organise toutes les modalités du protocole nécessaire pour un chef d’état, selon lequel la Présidente du Parlement Européen accueille Ahmad Shah Massoud, le Vice-Président de l’Afghanistan, à son arrivée devant l’entrée du Parlement à Strasbourg, offrira un déjeuner officiel à la délégation afghane, une conférence de presse conjointe, et enfin Massoud rencontrera tous les groupes parlementaires de toutes tendances. Autrement dit, « on aura la totale ».
Plus tard, toujours avec l’appui du Général Morillon, on décroche un entretien avec Javier Solana, responsable de la politique étrangère et un membre de la commission européenne. A Bruxelles, le Commandant sera reçu chaleureusement et avec tout le protocole nécessaire par le Vice-Premier Ministre Louis Michel.
A la demande du Dr Abdullah, notre Ministre des Affaires Étrangères de l’époque, je me rends chez Bernard-Henri Lévy pour l’informer de ce voyage. Je lui annonce que « le Chef est enfin prêt à sortir du pays ». BHL qui venait tout juste de rentrer du Sud-Soudan, appelle son ami François Pinault. Lequel se trouve être en week-end avec le Président Jacques Chirac. Enthousiasme de Chirac. Décision prise de recevoir Massoud à Élysée, en grande pompe et sans délai. Sauf que… Oui, sauf qu’on est en période de cohabitation. C’est-à-dire de guerre feutrée entre les deux branches de l’exécutif. Parait-il que Matignon (Jospin) sabote toute l’histoire. Comment ? Un « câble » diplomatique du chargé d’affaires français à Kaboul indiquant que recevoir Massoud est une mauvaise idée car cela mettra en péril les ressortissants français sur place, en particulier les représentants des organisations humanitaires. Un Jospin qui se fait un plaisir de répercuter la nouvelle à l’Élysée. Et un Élysée qui prend peur : « on ne sait jamais… des fois que ce soit vrai… on ne va quand même pas, nous, Élysée, avoir sur la conscience la mort de deux ou trois humanitaires… ». Résultat : Chirac annule.
Le fait que Strasbourg se trouve sur le sol français nous a mis devant un autre dilemme. Comment est-ce possible que Massoud, extrêmement populaire en France, atterrisse sur le sol français pour aller à Strasbourg sans qu’il rencontre les responsables du gouvernement français. Il a fallu qu’au dernier moment le ministère des Affaires Étrangères français prépare une rencontre semi-formelle, semi-informelle, un petit-déjeuner un samedi matin, avec un membre du gouvernement. Bernard-Henri Lévy obtient d’Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères, revenant juste d’un voyage officiel au Brésil, qu’il reçoive lui-même le Commandant Massoud. De ce « ratage », Bernard-Henri Lévy a gardé le regret jusqu’aujourd’hui.
2002 : BHL en mission officielle en Afghanistan pour l’État français
Quelques mois plus tard, en 2002, Bernard-Henri Lévy part en mission en Afghanistan. Est-ce regret de Chirac ? De Jospin ? Des deux ? Se sentent-ils mal, Massoud mort, de l’avoir aussi éhontément trahi ? Toujours est-il que, ensemble, après la chute des talibans, ils confient à Bernard-Henri Lévy une mission : étudier la possible participation de la France à la reconstruction de l’Afghanistan. Bernard-Henri Lévy passe plusieurs en Afghanistan. A Kaboul, en l’absence d’ambassadeur, il habite l’ambassade et fait office d’ambassadeur. Il revoit Fahim, le Dr Abdullah et Qanouni, les trois héritiers du Commandant Massoud. Il se lie avec Karzaï auquel il a, parce qu’il représente la France, un accès quasi quotidien. Il se rend à Kandahar, Bamyan, Mazar e Sharif, Jalalabad. Il voit les seigneurs de la guerre. Les intellectuels, va à la rencontre du peuple afghan. Il voyage dans tout le pays. Et, de ce voyage, il ramène un Rapport publié à la Documentation française en collaboration avec Grasset. Dans ce rapport il y a moult propositions qui, si elles avaient été suivies, auraient peut-être donné aux relations franco-afghanes et à l’aide internationale à l’Afghanistan une tout autre tournure… Parmi ces propositions, il en est une, cependant, que Lévy prendra personnellement en charge : l’idée d’un journal en trois langues (dari, pashto, français), lointain prolongement de la mission Mitterrand de 1992, qui deviendra Les Nouvelles de Kaboul. Le journal va durer 5 ans. Lévy viendra, deux fois par an, participer aux « bouclages » du magazine. Il sera, ce magazine, intégralement financé sur les fonds de la Fondation André Lévy. En 2003, personnellement j’ai eu la chance de faire paraitre deux articles en français que j’avais écrit sur la situation en Afghanistan. Je tiens, encore quelques numéros des Nouvelles de Kaboul dans ma bibliothèque.
Mehrabodin Masstan fut l’aide de camp du Commandant Massoud et le Haut Représentant de la République d’Afghanistan en France. Il est l’auteur de Massoud au cœur, avec et après Massoud (avec Pilar Hélène Surgers, Éditions du Rocher, 2003).
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