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Alain Badiou

Par Liliane Lazar

Alain Badiou et BHL se sont croisés à la fin des années 60. S’il existe de réelles divergences entre les deux philosophes, Lévy déclare volontiers à propos de Badiou : « un adversaire, mais que je ne parviens pas à détester. »

Portrait d'Alain Badiou dans sa bibliothèque
Alain Badiou. ©Ulf Andersen/Aurimages

Alain Badiou et Bernard-Henri Lévy

Les deux hommes ne sont pas tout à fait de la même génération mais se sont néanmoins croisés, à la fin des années 1969, à l’Université de Vincennes où Alain Badiou était à la tête d’un groupe maoïste rival de la Gauche Prolétarienne où Bernard-Henri Lévy n’a certes jamais milité mais dont il a, de son propre aveu, été proche. Des « passerelles » ont existé, et existent peut-être encore, entre les deux hommes. Michel Samuel qui fut un ami de Lévy au moment de leur scolarité commune au Lycée Louis Le Grand et qui était, en même temps, un des lieutenants du jeune Badiou est une de ces passerelles. Ou encore Bernard Sichère, membre du Groupe Foudre qui faisait de l’activisme politique à Vincennes au début des années 1970 et qui rejoignit, dix ans plus tard, l’équipe des nouveaux philosophes avec plusieurs livres importants publiés chez Grasset, dans la collection « Figures » dirigée par Bernard-Henri Lévy (livres sur Lacan, sur Merleau-Ponty, etc).

Depuis le début des années 2000, Alain Badiou s’en est, directement ou indirectement, souvent pris à Bernard-Henri Lévy qui est, à ses yeux, l’un des responsables de la disqualification de « l’idée communiste » et de la compromission du mot « homme » dans l’idéologie des droits de l’homme.

Bernard-Henri Lévy, de son côté, l’a attaqué, lui aussi. Dans Ce Grand cadavre à la renverse, il s’indigne de son silence sur la Bosnie et, plus généralement, sur tous les conflits, drames ou martyres qui ne cadrent pas avec une vision préfabriquée où les États-Unis figurent l’empire du Mal. Au moment de la parution de l’opuscule intitulé De quoi Sarkozy est-il le nom, BHL a consacré un bloc-notes à la reprise par Badiou, et contre Sarkozy, de la métaphore de « l’homme aux rats ».

A noter toutefois que Bernard-Henri Lévy s’est dissocié de nombre de ses amis sur un point : il s’est toujours refusé à entendre les positions de Badiou, notamment sur Israël, comme l’expression d’un antisémitisme déguisé.

Alain Badiou, symétriquement, et à l’inverse de disciples trop zélés, semble avoir toujours tenté d’éviter que le débat avec Lévy soit l’occasion, de sa part, de mots insultants et qui coupent définitivement les ponts.

Manœuvre tactique de la part de deux écrivains rompus à l’art de la guerre ? Estime réciproque ? Sourde complicité comme seule l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm est capable d’en produire ? Cette dernière hypothèse mérite, en tout cas, d’être retenue.

Alain Badiou à propos de Bernard-Henri Lévy

Nous savons tous que Bernard-Henri Lévy est un écrivain de haut vol, un philosophe qui a traité des dossiers d’une grande complexité, et il est aussi, dans le même temps, de façon délibérée et volontaire, un homme des médias, un homme de la communication de masse, un homme de la diffusion, un homme des tirages, un homme en quelque sorte de l’exposition.

Ecole Normale supérieure, 7 avril 2004.

Vous savez Lénine – ça c’est une citation anachronique ! mais tant pis je la fais quand même ! – disait que la jeunesse intellectuelle était « la plaque sensible de son temps ». Eh bien à ce titre, on pourrait soutenir que Bernard-Henri Lévy est resté de façon définitive dans la jeunesse intellectuelle parce qu’il est vraiment non seulement un interprète mais peut-être mieux encore une plaque sensible des soucis de l’époque. Je pense que lui convient par conséquent cette définition léniniste de la jeunesse.

Ecole Normale supérieure, 7 avril 2004.

En ce sens, de sa participation originaire à un premier bilan de la période révolutionnaire, à la fin des années 70, jusqu’à sa vaste enquête actuelle sur la diversité immanente du monde musulman, il y a un suivi très rapproché de ce qui agite les consciences, les opinions ou les spectacles dans les étapes successives de notre temps.

Idem.

Aujourd’hui c’est un peu la même chose de la finesse de son travail sur Sartre. A l’examen un peu approfondi, on verrait qu’il n’établit Sartre ni tout à fait dans l’ancien monde ni tout à fait dans le nouveau. Dans cette figure exemplaire du rapport ancien des intellectuels au changement s’illustre le fait que quelque chose de l’ancien monde peut se laisser entendre depuis le nouveau monde, où il résonne encore au prix de divisions importantes, d’une contradiction interne subtile et complexe.

Idem.

Bernard-Henri Lévy à propos d’Alain Badiou

Défaite de l’intelligence et du cœur. Crépuscule du regard politique alors même qu’on prétend l’aiguiser ».

Ce Grand Cadavre à la renverse, Grasset.

Si vraiment le monde c’est Bush contre Chavez, que fait-on des génocidés du Rwanda ? des bonzes de Rangoon ? de tous les autres ? Eh bien c’est très simple et c’est Badiou qui le dit dans un texte terrible : on les laisse à leur arène.

Octobre 2007, conversation avec Alain Finkielkraut pour le Nouvel Observateur.

Qui m’a reproché mon « silence social » ? Les amis de Monsieur Bourdieu et du Monde Diplomatique ? Alain Badiou ? Je ne les ai pas entendus, eux, quand on massacrait les Bosniaques, ou les Tchétchènes, ou les femmes algériennes, ou les Irakiens anti-Saddam. Comme si la misère du monde, hors des frontières de la France, ou hors des cadres rassurants de l’anti-américanisme, ne les concernait plus.

Nouvel Observateur, propos recueillis par Claude Askolovitch, février 2007.

Un adversaire. Mais que je ne parviens pas à détester. A cause de Mallarmé, sans doute. D’une idée de la révolution fondée sur Mallarmé plus que sur Marx ou sur Lénine. De l’allure.

Entretien avec Olivier Zahm, Purple Magazine, janvier 2009.


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