Claude Lévi-Strauss et Bernard-Henri Lévy
L’antihumanisme est un courant de pensée qui a traversé tout le XXe siècle. Il a formé ses enfants à l’idée d’un sujet qui ne serait plus l’homme cartésien, « maître et possesseur de la nature », mais un être divisé, précaire, incertain, étranger à lui-même. Ce courant « regroupe » des intellectuels comme le mathématicien Cavaillès ou l’ethnologue Lévi-Strauss et des philosophes aussi opposés que Wittgenstein, Heidegger, Lacan, Sartre, Foucault, Deleuze, Althusser. Bernard-Henri Lévy, qui a interrogé Lévi-Strauss pour la série télévisée Les Aventures de la liberté, conteste certaines de ses positions intellectuelles (son relativisme culturel, même si ce relativisme a été gonflé par ses exégètes, ou son goût pour un cloisonnement entre les disciplines de pensée) mais il en apprécie d’autres, notamment son intervention, début 2010, dans le débat sur l’« identité nationale » lancé par le gouvernement Fillon.
Bernard-Henri Lévy à propos de Claude Lévi-Strauss
« Il ne faut jamais oublier que le structuralisme, dont il aura passé sa vie, comme il se doit, à désamorcer les clichés les plus réducteurs mais qui n’en a pas moins été, à la fin des fins, son invention majeure, est ce qui lui a permis : a) d’opposer à l’illusion d’une multiplicité pure des destins anthropologiques celle d’une combinatoire réglée programmant des solutions en nombre fini ; b) de rester ainsi fidèle, par-delà le relativisme culturel dont on l’a abusivement décrété l’emblème, à une forme d’universalité humaine qu’il a proprement refondée. »
« Ce que nous devons à Lévi-Strauss », Le Point, 20 novembre 2008.
« L’année qui s’achève a vu disparaître un grand penseur français qui s’appelait Claude Lévi-Strauss. Or, si ceux qui lui ont rendu l’hommage ému et convenu de la Nation reconnaissante avaient eu ne serait-ce qu’une vague idée de sa pensée, ils auraient su que l’un des combats de sa vie aura été le combat contre cette passion, ce poison, cette prison de l’identité. Il y a eu le discours prononcé le 13 mai 2005, lorsque lui fut remis le prix Catalunya et où il avertissait : “J’ai connu une époque où l’identité nationale était le seul principe concevable des relations entre les Etats ; on sait quels désastres en résultèrent.” Il y eut, en 1978, ce livre dont je fus l’éditeur avec Jean-Marie Benoist et qui, intitulé L’Identité, mettait déjà en garde contre la tentation de réduire à sa prétendue identité un système social toujours plus riche et plus complexe. En sorte que, s’il y a, sur ce point, une leçon de Lévi-Strauss, c’est celle-ci : identité se dit des sujets, pas des collectivités ; elle se dit au pluriel, jamais au singulier ; et oublier cela, réduire une nation soit à ce fond commun, soit à ce catalogue figé de traits qui sont les deux noms possibles d’une supposée “identité”, c’est l’appauvrir, la faire mourir, alors même que l’on prétend lui rendre foi en son avenir. »
« Pourquoi il faut arrêter le débat sur l’identité nationale », Le Point, 7 janvier 2010.
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