BHL contre l’obscurantisme, pour un Islam des Lumières
Il faut, parfois, savoir rendre à César ce qui appartient à César ! J’ai souvent été très critique à l’endroit des représentants du monde intellectuel français – et notamment à l’égard des penseurs de gauche – sur leur incapacité à voir les dangers de l’islam politique. De l’islamisme, comme on l’appelle. N’empêche. Si je devais témoigner de l’engagement d’un seul homme, d’un seul journaliste, d’un seul écrivain, d’un seul philosophe, bref, d’un seul intellectuel, contre ce fléau obscurantiste, et si je devais, spontanément, livrer un seul nom, ce serait celui de Bernard-Henri Lévy qui me viendrait à l’esprit.
Incontestablement, c’est celui qui, avant tout le monde, a su constater l’ignominie qui caractérise ce phénomène. Mais, plus encore, il est l’un des rares à avoir débusqué ce mal en le qualifiant tout en apportant un soutien sans faille aux musulmans démocrates et laïques avec cette finesse d’analyse qui ne l’a jamais amené, contrairement à beaucoup d’autres, à amalgamer le bourreau d’Al-Qaïda et sa victime irakienne, l’égorgeur du GIA et ses suppliciées algériennes ou le kamikaze du Hamas et le laïque palestinien opposé à la violence.
Une « guerre des civilisations » au cœur de l’Islam
Cette analyse que j’ai vue chez lui, déjà au milieu des années 1990, en pleine guerre civile algérienne, est d’autant plus importante à rappeler aujourd’hui dans un contexte international où les plus grands pourfendeurs de l’islamisme sont en réalité, à la fois, les meilleurs alliés de ceux qu’ils prétendent honnir et les pires détracteurs de tous les musulmans, puisqu’il n’existe, à leurs yeux, aucune distinction à faire entre les uns et les autres. Mais aussi, son approche est nécessaire à préciser, de nos jours, dans un environnement où les intellectuels de gauche, ceux qui sont théoriquement appelés à apporter la réponse idéologique adéquate aux intégristes, en puisant leurs arguments dans ce qu’il y a de plus précieux dans les valeurs universelles qu’ils sont censés défendre, pèchent par un excès d’angélisme béat quand ils ne se complaisent tout simplement pas dans la justification de la barbarie.
BHL a su trouver les mots justes. Il a pu, en quelques phrases, en quelques articles, et à travers quelques prises de position, produire une idée dans laquelle les démocrates, les républicains et les laïques ne peuvent que se reconnaître. Ne croyant pas dans le concept absurde de « guerre des civilisations », il a rappelé, devant Christophe Barbier par exemple, Directeur de l’hebdomadaire L’Express, que cette fameuse thèse huntingtonienne, si elle devait impérativement exister, n’aurait de sens qu’« à l’intérieur de l’Islam ». Et c’est via ce genre de sorties que le philosophe ne peut que forcer le respect du journaliste engagé que je suis et qui se voit, par ailleurs, tous les jours, injurié par des procureurs indécents et à la compassion sélective bien française, que dis-je, bien occidentale : celle qui ne s’exprime que lorsque les victimes sont blanches, européennes, américaines, bref, toutes les victimes, oui, sauf lorsqu’elles sont musulmanes et happées par la barbarie intégriste juste parce qu’elles ont montré leur attachement aux principes démocratiques ou leur refus de cet habit féminin ignoble qu’on appelle voile ou burqa ou encore « voile intégral ».
Oui ! On a aussi dans ce monde occidental cette manie qui pousse les clercs à pérorer davantage sur ces femmes qui se « battent » pour avoir à porter cet innommable fichu qu’à s’attarder sur ces autres femmes qui, du Maroc à l’Égypte en passant par l’Algérie ou le Pakistan, refusent, au prix de leur vie parfois, de se draper dans ce symbole de l’obscurantisme. Lui, Lévy, ne les a jamais oubliées. Il n’est pas de ceux, en d’autres termes, qui ignorent ou qui sont oublieux du fait qu’historiquement et statistiquement les premières victimes de l’islamisme sont les musulmans eux-mêmes.
Le cas Rushdie : l’islamisme comme totalitarisme
Je connais les engagements de l’intellectuel Bernard-Henri Lévy depuis longtemps. Depuis l’époque où j’étais encore jeune journaliste en Algérie. Son nom, je l’ai probablement découvert avec l’affaire Salman Rushdie en 1989. Je me rappelle qu’il a été l’un des tout premiers à apporter publiquement un soutien sans réserve à l’auteur des Versets sataniques poursuivis par des hordes abreuvées à la fatwa de Khomeiny. Là aussi, il fut précurseur et l’un de ceux qui ont compris très vite que l’islamisme est une idéologie totalitaire, ennemie par excellence des romanciers et des créateurs. L’homme est devenu par la suite, vers la fin des années 1990, une connaissance. Je l’ai vu, de loin, se démener, entre Paris et Alger, pour tenter d’expliquer à l’opinion française la réalité de la « guerre civile » algérienne cependant que, de ce côté-ci de la méditerranée, on se demandait encore s’il n’aurait pas mieux fallu, finalement, laisser les islamistes prendre le pouvoir du côté d’Alger. Là aussi, l’intellectuel a joué son rôle de précurseur et a livré une analyse que certains éditorialistes – pourtant talentueux sur d’autres questions – étaient incapables de donner. Nous savons aujourd’hui ce qu’il en est. Au Maghreb et dans le Sahel, il n’y a plus de GIA, cette organisation régionale qui, pensait-on, menaçait un pouvoir infréquentable, il n’y a plus de GIA, dis-je, mais il y a Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), les descendants des premiers terroristes algériens et néanmoins dignes enfants de Ben Laden nés à une heure de Marseille – en raison, entre autre, de l’aveuglement de plusieurs capitales européennes qui refusaient de voir, avant le 11 Septembre, le danger terroriste avant qu’il ne s’exprime.
BHL en Afghanistan et au Pakistan : un investigateur
C’est plus tard, je m’en souviens, au lendemain de l’affaire Daniel Pearl que Bernard-Henri Lévy deviendra, non plus une simple connaissance, mais un ami. Je l’avais interviewé alors que je revenais du Pakistan et d’Afghanistan et qu’il venait de finaliser son enquête, dans la région, sur les assassins de Pearl. Oui, l’homme est peut-être un habitué de Saint-Germain-des-Près (comme aiment à le rappeler certains de ses détracteurs en usant de la charge ironique qu’on induit en utilisant le nom du Quartier Latin). Mais c’est aussi, quoi qu’on en dise, un intellectuel de terrain, un investigateur. À l’époque, je voulais avoir cet entretien avec lui (pour le compte d’un quotidien luxembourgeois) car j’avais été frappé, lors de ce sixième séjour que j’avais effectué dans la zone pakistano-afghane, par la haine que la seule évocation de son patronyme pouvait dégager auprès de certains fanatiques locaux ayant eu connaissance de ses déclarations. Il évoquait déjà les liens obscurs qu’entretenait le régime du Président Musharaaf et les islamistes proches des talibans et d’Al-Qaïda. Dans quasiment chaque école coranique que j’avais visitée, son nom était cité. Son enquête avait, je m’en souviens, provoqué la grande colère des « barbus » de Peshawar à Karachi en passant par Islamabad. Alors oui je le sais : BHL ne fait pas l’unanimité. Et je dirai : tant mieux ! Ceux qui arrivent à créer autour d’eux consensus sur consensus sont plutôt suspects à mes yeux. Ils sont tantôt dans le populisme tantôt dans la démagogie mielleuse. L’homme suscite toutes les passions. Certains « penseurs », qui ne sont capables de raisonner qu’en petit, lui en veulent probablement parce qu’ils ne sont tous simplement pas outillés, intellectuellement parlant, pour voir autre chose que sa chemise blanche quand il leur montre les dangers que représente une idéologie totalitaire. Ils sont un peu comme le singe : ils préfèrent voir le doigt…
Mohamed Sifaoui, né le 4 juillet 1967, est journaliste, écrivain et réalisateur algérien installé en France. Il se consacre principalement à l’investigation sur l’idéologie et le terrorisme islamiste. Il est engagé aux côtés de SOS Racisme. Il est l’auteur, entre autre, de Combattre le terrorisme islamiste (éd. Grasset, 2007), Pourquoi l’islamisme séduit-il ? (Armand Colin, coll. « Éléments de réponse », 2010)
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