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Jafar Panahi

Par Félix Le Roy

Alors que le régime autoritaire iranien emprisonnait le cinéaste Jafar Panahi, BHL s’est battu pour sa libération. Récit.

Portrait de Jafar Panahi
Jafar Panahi ©DR

Sauver le « cinéaste-courage »

C’est dès la première arrestation de Jafar Panahi en 2009, au cimetière de Beheshte Zarah, que Bernard-Henri Lévy lance un appel à soutenir ce « cinéaste-courage », cet « opposant au régime iranien », ce « démocrate affirmé », preuve vivante qu’« en Iran, la flamme n’est pas morte » et que « l’esprit de la révolution démocratique continue d’y vivre et d’y vibrer ». BHL réitère son appel l’année suivante dans une déclaration à l’AFP, Panahi étant empêché de participer aux réunions du jury du Festival de Cannes pour la bonne raison qu’il est, dans le même instant, détenu à Evin sur l’ordre du président Ahmadinejad.

Lévy dénonce « un régime iranien devenu fou » qui vient « d’inventer le délit de synopsis » après la condamnation à six ans de prison du cinéaste Jafar Panahi. Avec « cette condamnation ahurissante, le régime de Téhéran a déclaré la guerre à ses artistes et à sa société civile tout entière. [Panahi est] condamné sur le soupçon d’avoir l’intention de réaliser un film sur le mouvement vert ». « Son seul crime, a-t-il ajouté, est d’avoir été un partisan de Mir Hossein Moussavi. Il faut trouver le moyen de faire entendre raison à ce régime devenu fou », insiste Bernard-Henri Lévy qui en appelle « à la communauté des cinéastes, au Festival de Cannes et au ministre de la Culture Frédéric Mitterrand ». « Le régime iranien a choisi d’engager un bras de fer symbolique, il faut le gagner », poursuit-il. « Je tenterai de mettre toutes les forces de La Règle du jeu, celles de la chaîne franco-allemande Arte dont je préside le conseil de surveillance et mes forces personnelles dans la bataille ».

Bernard-Henri Lévy publie une tribune dans Libération dans laquelle il pose les termes de ce combat à mener contre la folie du régime iranienne :

En incarcérant Jafar Panahi, les dirigeants iraniens ont déclaré la guerre à leurs artistes. Ils ont mis hors-la-loi leur cinéma qui était, et est encore, l’un des grands cinémas du monde. Ils ont mis hors-la-loi leur peuple ou, tout au moins, cette immense partie de leur peuple (celle qui, voici 18 mois, votait, en majorité, pour Moussavi) à laquelle Panahi était soupçonné de vouloir consacrer un film. Ils ont inventé un crime – l’intention d’un film – que même les Staliniens n’avaient pas osé imaginer. Ils ont inventé un châtiment – vingt ans de bâillon, au terme des six ans d’emprisonnement – qui semblait n’avoir cours que sous les dictatures imaginaires d’Alfred Jarry ou de Georges Orwell. Ils se sont mis au ban des Nations. Ils ont signifié aux Nations qu’au bout de la course folle dans laquelle ils se sont engagés, notre avis, notre jugement, notre éventuelle condamnation, ne comptaient plus vraiment pour eux. Ils ont perdu la tête. Ils ont perdu l’amour de leur pays, de ses valeurs, de sa culture. Ils sont capables de tout, à partir de là. Ils sont dans une spirale de paranoïa et de démence qui peut déboucher sur une crise, une dissension, une implosion – mais aussi, hélas, sur le pire. Laisserons-nous ce pire advenir ? Assisterons-nous, impuissants, aux prochaines provocations de cet État devenu autiste ?

Très vite une réunion du comité de rédaction de la revue de BHL a lieu. Maria de França, rédactrice en chef, et Armin Arefi mettent en place le blog « Nouvelles de l’Iran », qu’ils créent sur le site de La Règle du jeu, pour entrer en contact avec le prisonnier. Ils reçoivent de celui qui a entamé une grève de la faim un message inquiétant faisant état de « mauvais traitements », de « jeux malsains » et de « tortures psychologiques ».

Bernard-Henri Lévy et La Règle du jeu mobilisent le monde du cinéma.

Le 1er février 2011, tandis que Jafar Panahi est condamné à 6 ans de prison et à 20 ans d’interdiction de réaliser des films pour « rassemblement contre la sécurité nationale » et « propagande contre le Régime », Bernard-Henri Lévy et La Règle du jeu, ainsi que le magazine Transfuge, organisent une soirée de soutien au cinéaste iranien au Cinéma La Pagode. Cet élan de solidarité lancé par BHL concerne également Mohammad Rasoulof et Mohammad Nourizad, comme l’explique le communiqué de presse de l’époque :

Le seul crime qu’ait commis Jafar Panahi est d’avoir tenté de continuer de travailler en Iran, son pays, malgré la censure de ses œuvres. Panahi a déposé le 8 janvier une lettre d’appel qui est actuellement en cours d’examen par le tribunal de Téhéran. Les autorités iraniennes devraient se prononcer sur la recevabilité de l’appel dans les prochains jours. La manifestation organisée par La Règle du Jeu, Transfuge et le Cinéma La Pagode est, aussi, un appel adressé aux autorités iraniennes à la veille d’un verdict dont l’écho sera mondial. Les organisateurs de la soirée rappellent, par ailleurs, que le cinéaste Mahamad Rasoulof est également condamné à six années de prison ferme pour avoir participé au dernier projet de Jafar Panahi. Ils rappelleront aussi le cas de Mohammad Nourizad, arrêté en décembre 2009 pour avoir écrit une lettre de contestation à l’Ayatollah Ali Khamenei et qui a entamé une grève de la faim en décembre 2010. Il est inconcevable que Jafar Panahi et Mohammad Rasoulof passent les six prochaines années de leurs vies derrière les barreaux de la prison politique d’Evin. Il est inconcevable que Mohammad Nourizad demeure en prison. Il est inconcevable que les autorités iraniennes privent les cinéastes iraniens de leur droit, élémentaire, d’exercer leur métier et de s’exprimer.

Ce soir-là, le film Hors jeu de Panahi est projeté, en présence du ministre de la Culture Frédéric Mitterrand, mais aussi l’artiste iranienne Marjane Satrapi, de Serge Toubiana, Agnès Varda, Amos Gitaï, Jane Birkin, Michel Piccoli, Yann Moix, Nicole Garcia, Patrick Mille. Des messages de soutiens de cinéastes et d’acteurs tels que Bertrand Tavernier, Vincent Lindon, Charles Berling, Hyppolite Girardot, Jean-Pierre Mocky ou Stéphane Freiss sont lus.

Quelques jours plus tard Bernard-Henri Lévy lance un nouvel appel au monde du cinéma à observer cinq minutes de silence, tandis que le Berlinale s’apprête à rendre hommage à Jafar Panahi et à son œuvre courageuse :

Je lance un appel au monde du cinéma parce que la Berlinale, ça ne suffit pas : qu’il se mette d’accord dans les jours prochains sur une date, une heure et qu’il s’arrête pendant cinq minutes pour rendre hommage à Panahi. Ce jour qui reste à déterminer pourrait être discuté à Berlin parmi les festivaliers. Pendant ces cinq minutes, les réalisateurs, les exploitants de salles, les comédiens, tout le monde arrêterait ses activités., a conclu le philosophe.

Le Festival de Cannes 2011

Bernard-Henri Lévy convainc alors le ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand, de lire un message publiquement en haut des marches du Palais des Festivals à Cannes, soit les premiers mots que Panahi a réussi à faire sortir de la prison d’Evin, et qu’il a destiné à la revue du philosophe.

On sait que Panahi fut libéré à la suite de cet éclat public, d’un deuxième appel à l’aide du cinéaste et de la pétition internationale lancée par Bernard-Henri Lévy et sa revue, pétition dont voici le texte :

L’un des plus importants cinéastes Iraniens, Jafar Panahi, est aujourd’hui incarcéré dans la tristement célèbre prison politique d’Evin. Enfermé depuis maintenant 80 jours, Jafar Panahi a réussi à faire sortir les quelques mots de la lettre mise en ligne par la Règle du jeu et qui a bouleversé tous les festivaliers présents lors de sa lecture samedi dernier en haut des marches à Cannes.En s’attaquant à un grand artiste de renommée internationale tel Jafar Panahi, les autorités de la République islamique montrent qu’elles ne reculent désormais devant rien pour mener à bout leur politique répressive. Jafar Panahi, réalisateur engagé dont les films traitent de la société iranienne, a toujours tenu à rester en Iran malgré les menaces gouvernementales. Il n’a eu pour seul tort que de soutenir MirHossein Moussavi, candidat pourtant sélectionné par le Régime iranien lors de la dernière présidentielle. Aujourd’hui il est accusé par le gouvernement iranien d’être en train de réaliser un film contre le Régime, accusation que Panahi a refutée dans sa lettre. Voilà pourquoi nous demandons la libération immédiate et sans condition du cinéaste iranien.

Cette pétition a notamment été signée par Robert Redford, Martin Scorsese, Bertrand Tavernier, Isabelle Huppert, Xavier Beauvois, Agnès Varda, Amos Gitai, Josiane Balasko, Claude Lanzmann, Danièle Thompson, Emmanuel Carrère, Atiq Rahimi, Marjane Satrapi, Anouk Aimée, Yann Moix, Pierre Richard, Xavier Giannoli, Paul Thomas Anderson, Joel & Ethan Coen, Francis Ford Coppola, Jonathan Demme, Robert De Niro, Jim Jarmusch, Ang Lee, Terrence Malick, Paul Schrader, Steven Soderbergh, Steven Spielberg, Oliver Stone…

Mai 2011 : la libération de Jafar Panahi

En met 2011, Bernard-Henri Lévy apprend par Abbas Bakhtiari, directeur du centre culturel Pouya qui s’est entretenu avec la femme de Panahi, que ce dernier a été libéré. Le philosophe publie un texte à cette occasion :

Cette libération, quels qu’en soient le prix et les conditions, est d’abord un grand moment de bonheur pour Panahi, sa famille et ses proches. C’est, pour tous ceux qui, à Cannes, ne se sont jamais résignés à l’iniquité de cet emprisonnement et ont gardé à Jafar un siège vide à la table des délibérations du jury, une réparation tardive, mais une réparation quand même. Quant à La Règle du Jeu qui avait rendu publique la première lettre de Panahi lue, le samedi 15 mai, par Frédéric Mitterrand, Abbas Bahktiari et Armin Arefi en haut des marches du Palais des festivals, puis, trois jours plus tard, le 18 mai, une seconde lettre en forme d’appel au secours aussi bouleversant que terrifiant, puis, le 20, le texte d’une pétition internationale signée par quelques-uns des plus grands noms de la scène intellectuelle et cinématographique mondiale et exigeant la libération sans délai d’un homme dont le seul crime était apparemment d’être un artiste de premier plan et de renommée internationale – quant à La Règle du Jeu, donc, elle voit dans l’annonce de cette libération une victoire de la ténacité et de la volonté démocratique quand elle est clairement affichée. […] C’est nous qui avions raison. Ce sont Agnès Varda, Bertrand Tavernier, Xavier Beauvois, c’est, ici, à la Regle du Jeu, Abbas Bakhtiari, Armin Arefi, Maria de França, qui ont bien fait de ne pas céder et de maintenir la pression jusqu’au bout. On a toujours raison de résister. On a toujours tort de se taire et de capituler. Bon retour, cher Jafar Panahi, au pays des vivants – vos amis.

Mais si Jafar Panahi a été libérée, il n’en demeure pas moins que ses conditions de travail sont chaotiques. En 2015, alors que le président iranien Rohani va être reçu à Paris, BHL n’oublie pas le cinéaste et rend hommage à son courage dans son bloc-notes du Point :

Je n’oublierai pas le cas du cinéaste Jafar Panahi, martyrisé, embastillé et, aujourd’hui encore, bâillonné – on sait dans quelles conditions surréalistes, quasi ubuesques, et en allant au-devant de quels risques, il a pu tourner ces chefs-d’œuvre d’insolence et de paradoxale liberté que sont ses Ceci n’est pas un film, puis Closed Curtain et, tout récemment, Taxi Téhéran.


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