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Romain Gary

Par Liliane Lazar

BHL à connu Romain Gary à la fin de sa vie. Il incarnait le mélange de la littérature et de l’action, avait le talent de la multiplication de l’être.

Portrait en couleur de l'écrivain français Roman Gary
Romain Gary. ©AFP/Ulf Andersen/Aurimages

Romain Gary et Bernard-Henri Lévy

Bernard-Henri Lévy rencontre Romain Gary en 1977, peu après la parution de La Barbarie à visage humain. Mais, alors qu’il s’intéresse surtout au « mari de Jean Seberg, à l’ancien consul à Los Angeles, au personnage éminemment romanesque, au cinéaste des Oiseaux vont mourir au Pérou » (Pièces d’identité), Romain Gary, de son côté, ne lui parle que littérature, « à commencer par son Pour Sganarelle, cet essai énorme […] qu’il venait de publier, où il pensait avoir réglé leur compte aux structuralistes, nouveaux romanciers et autres modernes et dont, pour être franc, je me fichais complètement » (Idem). Bernard-Henri Lévy admire en Gary, outre le « journaliste extraordinaire, le cinéaste, le grand vivant, le diplomate de qualité, l’essayiste, le juif messianique », « le romancier de génie » (Idem). Il admire l’écrivain Gary pour les mêmes raisons qu’il admire l’écrivain Malraux : pour l’inextricable mélange, en eux, de littérature et d’action. Pour avoir aussi pratiqué le cinéma en hors-la-loi, en contrebandiers. Il s’inspire de leur exemple sur ce point : même si les deux films sont esthétiquement à l’opposé l’un de l’autre, celui de Malraux étant marqué par l’école russe, Lévy tourne Bosna ! en hommage à Sierra de Teruel. Il place ensuite son Jour et la nuit dans la lignée des Oiseaux vont mourir au Pérou, et surtout de Kill (critique de l’idéalisme dévoyé, plongée dans un cinéma populaire, autoportrait désenchanté, portrait en creux de l’épouse actrice). Il en paie le prix, ne récoltant, à la sortie du Jour et la nuit, qu’insultes haineuses, comme Gary à la sortie de Kill. Mais ce qui captive le plus Bernard-Henri Lévy dans le cas Gary, c’est peut-être, c’est sûrement l’affaire Ajar. Pourquoi ? Parce que Gary a alors écarté de son œuvre l’encombrant moi social qui retenait le public de le lire. Et surtout aussi parce que, grâce à cette hétéronymie, il a réussi à se renouveler en profondeur, à retrouver l’enfant qu’il avait été et au sujet duquel il avait écrit qu’« attaqué par le réel sur tous les fronts, refoulé de toutes parts, [se] heurtant partout à [ses] limites, [il avait pris] l’habitude de [se] réfugier dans un monde imaginaire et à y vivre, à travers les personnages qu’[il inventait], une vie pleine de sens, de justice et de compassion. » Question d’école : Bernard-Henri Lévy a-t-il songé à Gary-Ajar en inventant au poète, dans Les Derniers jours de Charles Baudelaire, un double qui est aussi un imposteur ?

Bernard-Henri Lévy à propos de Romain Gary

Je suis fasciné par ce romancier exemplaire, rêvant sa vie, vivant ses livres, à mi-chemin du texte et du geste, grand inventeur de ce que j’ai appelé un jour (et le mot, pour moi, le caractérise si parfaitement !) des « gextes » magnifiques. Gary, en ce sens, frère de Malraux. Frère cadet, sans doute. Frère plus obscur et pathétique. Mais frère tout de même. Portant aussi haut que lui cet art extraordinaire du double fil doublement tressé : action et littérature, littérature et action, l’une à l’appui de l’autre, l’autre entrelacée à l’une.

Questions de principe XI : Pièces d’identité, Grasset, 2010, p. 411-412.

(Comme Malraux et comme Hemingway, Gary) aura fait la guerre sans l’aimer – exacte antithèse de tous les salopards qui, à la même époque, c’est-à-dire de 1914 à nos jours et à la Bosnie, l’auront aimée sans la faire.

Question de principe VII : Mémoire vive, Le Livre de Poche, 2001, p. 91.

Gary. Éternellement le même. Éternellement un autre.

Idem.

Il a tout compris avant tout le monde. Il a vécu – ce qui s’appelle vécu – cette mécanique de la multiplication des moi. Je dirais même, si je ne craignais la grandiloquence, qu’il est allé au bout de cette logique comme d’autres au bout de la nuit et que c’est de cela, à la fin des fins, qu’il est mort. C’est ça, voilà. Il est mort quinze ans avant Debord, il a fabriqué Ajar quinze avant que les culs de plomb du clergé littéraire ne s’emparent de la « société du Spectacle », mais il est, de tous les écrivains contemporains, celui qui a le mieux saisi et de l’intérieur ! dans sa chair ! – les lois de ladite société.

Comédie, Grasset, 1997, p. 203.


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