Shimon Peres et Bernard-Henri Lévy
Shimon Peres incarne, aux yeux de Bernard-Henri Lévy, la vertu de ces pionniers qui contribuèrent à construire, puis à défendre et à consolider l’Etat d’Israël, des premières luttes sionistes de La Haganah aux combats des partis travaillistes, ou centristes, qu’il dirigea, voire même aux combats de ses ennemis israéliens de tous bords, contre lesquels il se battit, mais auxquels parfois il se rallia, par sagesse politique. Peut-être ne faudrait-il pas parler ici d’une « vertu », mais d’une « double vertu », d’une « vertu à deux branches », d’une vertu, en somme, de « prince-abbé », une vertu qui permet de faire et d’assumer, sans les aimer pour cela, des guerres de ripostes, tout en ouvrant largement à tous les hommes de bonne volonté, qu’ils soient d’un côté ou de l’autre de la barricade, ce que lui-même, Peres, tel le Don Quichotte qu’il fut, a défini comme « des chemins de parole et de dialogue ».
Bernard-Henri Lévy à propos de Shimon Peres
« Je ne voulais pas achever ce voyage (Il s’agit d’un voyage au Liban et en Israël pendant la guerre contre le Hezbollah, NDLR) sans aller, comme chaque fois, mais cette fois plus que jamais, rendre visite à Shimon Peres. C’est Daniel Saada, cet ami d’autrefois, membre fondateur de SOS-Racisme, installé en Israël et devenu, également, son ami, qui m’a conduit jusqu’à lui. “Shimon”, comme tout le monde l’appelle ici, a 84 ans. Mais il n’a rien perdu de sa prestance. Ni de son allure magnifique de prince-abbé du sionisme. Il a toujours le même visage, tout en front et en lèvres, qui souligne l’autorité mélodieuse de sa voix. Et j’ai même l’impression, par instants, qu’il s’est incorporé, en prime, une légère amertume dans le sourire, un éclair dans le regard, une façon de se tenir et, parfois, de timbrer les mots, qui n’était pas à lui mais à son vieux rival Itzhak Rabin… “Tout le problème, commence-t-il, c’est la faillite de ce que l’un de vos grands écrivains appelait la stratégie d’état-major. Personne, aujourd’hui, ne contrôle personne. Personne n’a le pouvoir d’arrêter ni de maîtriser personne. En sorte que nous n’avons, nous, Israël, jamais eu tant d’amis, mais que jamais, dans notre histoire, ils n’ont autant servi à rien. Sauf…” Il prie sa fille, une dame d’un certain âge qui assiste à l’entretien, d’aller, dans le bureau voisin, chercher deux lettres d’Abou Mazen et Bill Clinton. “Oui, sauf que vous les avez, eux. Les hommes de bonne volonté. Mes amis. Les amis des Lumières et de la paix. Ceux que ni le terrorisme, ni le nihilisme, ni le défaitisme, ne feront jamais renoncer. Nous avons un projet, vous savez… Toujours le même projet de prospérité, de développement partagé, qui finira par triompher… Écoutez…” Shimon a fait un rêve. Shimon est un jeune homme de 84 ans dont l’invincible songe dure, en effet, depuis trente ans, et que la présente impasse, loin de décourager, semble mystérieusement stimuler. Je l’écoute donc. J’écoute ce sage d’Israël m’expliquer qu’il faut simultanément “gagner cette guerre”, disqualifier ce “quartet du mal” que constituent l’Iran, la Syrie, le Hamas, le Hezbollah et frayer des “chemins de parole et de dialogue” qui finiront bien, un jour, par mener le Proche-Orient quelque part. Et le fait est qu’en l’écoutant, en réentendant ces prophéties déjà anciennes mais qui, aujourd’hui, je ne sais pourquoi, me semblent affectées d’un coefficient nouveau d’évidence et de force, je me prends à imaginer, moi aussi, la gloire d’un Etat hébreu qui oserait, dans le même temps, presque le même geste, dire et surtout faire les deux choses : aux uns, hélas, la guerre ; aux autres, une déclaration de paix qui ne laisserait soudain plus le choix. »
Article paru dans Le Monde en juillet 2006.
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