C’est le débat le plus absurde du moment.

Je résume.

Un nombre grandissant d’autorités spirituelles se décident enfin à condamner, du Caire à Riyad et Jakarta, les crimes d’un islamisme pour lequel elles ont eu, jusqu’ici, bien des indulgences.

Un mouvement naît à Londres où des milliers de gens clament, sur la Toile, leur refus de voir les meurtres, les décapitations en série, les appels à la guerre sainte lancés depuis l’Irak, se perpétrer en leur nom.

Le mouvement s’étend à la France où l’imam de Drancy, Chalghoumi, puis d’autres, puis Dalil Boubakeur, trouvent les mots pour dire l’horreur que leur inspire l’assassinat, dans les montagnes de Kabylie, d’Hervé Gourdel et invitent les fidèles à descendre dans la rue pour dire, eux aussi, leur dégoût et leur colère. Et voilà un quarteron de petits esprits qui, au lieu d’applaudir, au lieu de se féliciter de ce signe d’unité nationale face au pire et au lieu d’admirer, surtout, le courage de ces manifestants qui savent que brandir le portrait d’un « sale Français » fait d’eux, aux yeux de l’État islamique, des traîtres, des apostats et des assassinés en puissance, ne trouvent qu’une chose à dire : « manipulés… culpabilisés… requis de s’excuser d’un forfait qui leur est étranger… ces gens, en manifestant leur fraternité, n’ont fait, en réalité, qu’obtempérer à une sommation et confirmer la suspicion dont ils étaient l’objet… »

On passera sur le mépris.

On passera sur le fait qu’il se trouve encore des éditorialistes « de gauche » pour ne voir leurs concitoyens d’ascendance arabe, berbère et, en tout cas, musulmane que comme d’éternelles victimes, objets de l’Histoire jamais sujets, incapables de produire un discours qui leur soit propre, aliénés.

Et l’on n’insistera pas sur l’« humour » de ceux qui, sur un site décidément mal inspiré, osèrent comparer les lecteurs du Coran rejetant l’interprétation mortifère qu’en font les émules d’al-Baghdadi aux porteurs de prothèses se démarquant (sic) d’Oscar Pistorius, aux Martiens se dissociant de Jacques Cheminade ou aux femmes se désolidarisant (re-sic) de Nabilla…

La vérité est que nul n’a parlé de « se désolidariser » de qui que ce soit.

La vérité est que, sauf au Front national, l’on n’a entendu nulle part que les musulmans de France seraient des « suspects » ayant à montrer « patte blanche ».

Mais la vérité c’est que l’islam lui-même, cet islam dont se réclament les tueurs de Mossoul non moins que les imams de Lyon ou de Paris, cet islam dont Daech s’est fait, qu’on le veuille ou non, un étendard sanglant, est devenu un lieu de débat, que dis-je ? un champ de bataille – et que, de cette bataille, les musulmans eux- mêmes sont les arbitres premiers.

Islam contre islam.

Guerre d’appropriation autour des noms de l’islam. Lutte idéologique, interne donc à l’islam, entre ceux pour qui « djihad » par exemple est un commandement spirituel et ceux qui l’entendent comme un appel au meurtre et à la guerre sainte.

Prenons n’importe lequel de ces jeunes que des prêcheurs improvisés invitent à rejoindre le millier de leurs concitoyens déjà partis pour la Syrie et l’Irak.

Imaginons-le tenté par ce groupe en fusion djihadiste qu’il voit se former dans sa cité ou sur les pages Facebook qui recrutent sur le Net et lui serinent qu’être musulman c’est faire la chasse aux juifs, aux chrétiens, aux yézidis et aux chiites.

Eh bien, il est capital qu’il entende de vrais imams, vraiment lettrés, lui dire que le Coran ce n’est pas cela.

Il est décisif qu’il ait l’image d’autres groupes témoignant, tel celui rassemblé, vendredi dernier, devant la Grande Mosquée de Paris, que l’islam est une religion de fraternité et de paix.

Il est essentiel qu’à l’idée de l’islam prônée par la nouvelle secte des assassins et dont le nombre des adeptes ne fait, pour l’heure, que croître s’oppose une autre idée, portée par des voix plus puissantes et, fortes de cette puissance, aptes à battre en brèche, à rejeter dans les limbes et à déconsidérer les tenants de la première.

Dire cela n’est pas faire injure aux musulmans, c’est leur faire gloire.

Ce n’est pas s’en défier, c’est croire en leurs forces vives et en leur capacité à défendre la République.

Ce n’est pas faire du communautarisme, c’est faire, ou refaire, de la politique – mais attention ! la vraie, celle qui disjoint autant qu’elle rassemble, celle qui trace des lignes de démarcation au sein de formations idéologiques dont nos bons maîtres nous enseignaient qu’on a toujours raison d’y faire passer le bon fil à séparer les deux éternels partis de l’inhumanité et du vivre-ensemble.

L’occasion est là de traiter enfin, et à fond, cette maladie de l’islam dont parle Abdelwahab Meddeb depuis vingt ans.

Ces tragédies en chaîne, ce climat d’apocalypse suspendue, ce grand cyclone planétaire où tournoient – entre autres – quelques-uns des mots de l’islam, peut-être tout cela sera-t-il, pour ceux qui tiennent à ces mots comme à leur foi la plus intime, le point de départ d’une longue et belle marche au terme de laquelle la troisième religion du Livre rompra, elle aussi, avec la part obscure d’elle-même.

Puissent les musulmans de France ne pas rater ce rendez-vous.

Puissent les irresponsables qui les invitent à rester chez eux ne pas les désarmer à la veille de ce combat qu’ils attendent depuis si longtemps.

Nous sommes tous embarqués. Mais eux sont en première ligne – il faut qu’ils gagnent.


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