On pense, en voyant ce film, à ces images de foules et de destruction, à la guerre d’Espagne. Le peuple se bat contre la dictature. Et, on s’en souvient, perd la guerre. Dans le désert libyen, cette fois, la révolution gagnera la bataille, le soutien international viendra au secours du peuple assiégé, le tyran Kadhafi n’y survivra pas. Bernard-Henri Lévy se trouve au Caire, sur la place d’une autre révolution, en février 2011, quand il décide d’aller en Libye. Et se trouve emporté, témoin et très vite acteur de la rébellion.

L’écrivain et philosophe devient militant et homme politique, au nom du « devoir d’ingérence », le temps de la révolution libyenne. Pendant ces huit mois, il écrit son journal, « la seule manière honnête de faire, quand il n’y a pas de finalité silencieuse orientant ce que l’on est en train de vivre », dit-il. Ce sera un livre, paru en novembre 2011, La Guerre sans l’aimer (Grasset).

Mais le photographe Marc Roussel, qui l’accompagne dans ses aventures (déjà présent à ses côtés en Afghanistan), se met soudain à tenir lui aussi son journal, filmant au cœur des événements grâce au nouvel appareil photo Canon 5D. Le Serment de Tobrouk est la chronique filmée de l’intérieur de la révolution libyenne. De mars 2011 – lors du premier voyage à Benghazi et de la première rencontre avec Moustafa Abdeljalil, le président du Conseil national de transition (CNT), avec les chefs improvisés du soulèvement contre Kadhafi – jusqu’à la libération, fin octobre, du peuple libyen.

Pourquoi pas la Syrie ?

Et on revoit donc, en images, ces huit mois où les Libyens ont pris leur sort en main, où le monde occidental a compris que l’histoire était du côté de ce peuple, que le XXIe siècle ne pouvait pas toujours reproduire les erreurs génocidaires du XXe. Et en regardant ces formidables documents, cette révolte à l’issue obscure jusqu’à la dernière minute, s’imprime en image virtuelle l’interrogation : pourquoi hier la Libye et pas la Syrie aujourd’hui ? Sur l’écran, la grande histoire – champs de batailles, villes éventrées, miliciens à peine armés, tanks, bombardements – rejoint comme toujours la petite. L’image de Bernard-Henri Lévy seul sur des marches, à Benghazi, essayant de joindre Nicolas Sarkozy au téléphone, puis, plus tard, réussissant à sortir le général Younès (qui sera assassiné), Souleiman Fortia et une délégation militaire, de Misrata assiégée, pour une rencontre secrète avec Sarkozy à l’Elysée. Et faisant le tour de la planète, obstiné, pour supplier les dirigeants d’aider le peuple libyen à gagner la guerre.

On suit l’espoir et le désespoir des révoltés du désert. On pense toujours à la guerre d’Espagne et l’image renversée, L’Espoir de Malraux qui aurait dû s’appeler « Désespoir ». Ici l’espoir a gagné : la caméra filme les visages des combattants, les maisons réduites à des trous béants, les rues inondées, le peuple qui résiste, et, pour qu’on n’oublie pas, les femmes qui manifestent pour « la paix et la liberté ». On voit le drapeau français, seule tache de couleur, accroché sur les ruines de Misrata, sorte de Pompéi contemporaine. Et la chute de Tripoli, la dernière bravade hallucinée de Kadhafi, retranché dans Syrte, abattu.

Référence à la charia

Par-delà la chronique en direct, des interviews des principaux acteurs libyens et des politiques étrangers éclairent leurs décisions à l’époque et redéroulent les événements que les spectateurs viennent de suivre : la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, le Premier ministre anglais, David Cameron, Nicolas Sarkozy…Un happy end ? La joie des Libyens libérés après quarante ans de barbarie, Sarkozy et Cameron, en visite officielle dans Tripoli, fêtant la victoire avec le peuple reconnaissant. Mais aussi le premier discours du président Abdeljalil citant la charia comme référence légale dans le futur Etat libyen.

Le film laisse ouvertes les questions que se posent les auteurs quand ils se lancent dans l’aventure : « Était-ce la démocratie en marche ? La ruse de l’histoire de l’islamisme ? L’avènement du devoir d’ingérence ? Nous n’en savions rien. » Le film, l’histoire, n’a pas de fin. Seulement un début.


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