Impossible de laisser sans réponse le rapport de la Chambre des communes sur la guerre en Libye de 2011.

Il reproche aux coalisés de s’être « focalisés » sur le seul « changement de régime par des moyens militaires ». Cela est inexact. Et l’honnêteté oblige à dire que l’on offrit à Kadhafi, à chacun des tournants du conflit, la possibilité de négocier. L’exil vers le Zimbabwe qu’on laissa Berlusconi lui proposer, le 27 mars… La promesse faite, le 6 juin, à son directeur de cabinet d’une exfiltration non suivie d’une inculpation par le TPI… L’ex-Premier ministre espagnol Aznar à qui fut confiée, début juillet, une mission de médiation… Villepin à Djerba, le 19 août… Sans compter le fait qu’il y a un site, un seul, que les avions de la Coalition s’interdirent, jusqu’au dernier instant, de bombarder : ce site, c’était la piste d’aviation privée, dans la ville-bunker d’El Azizia, d’où son jet personnel pouvait décoller à tout moment et qui était donc, au sens propre, sa porte de sortie… Ces péripéties furent rapportées, en leur temps, par la presse. Elles sont la preuve que c’est bien au dictateur, et à lui seul, qu’appartint la décision de prolonger, et de prolonger encore, des combats sans issue.

Le rapport reproche aux Alliés d’avoir échoué à « identifier » les « factions islamistes radicales au sein de la rébellion ». Cela, non plus, n’est pas exact. Car ce risque islamiste hantait, au contraire, tous les acteurs de cette histoire. Et j’entends encore Nicolas Sarkozy, le 15 septembre, à l’hôtel Corinthia de Tripoli, face au Conseil national de transition réuni au grand complet, avertir : « la France n’a pas fait ce qu’elle a fait pour se retrouver un jour avec une dictature fondamentaliste qui serait pire que celle de Kadhafi ». La question, en vérité, n’était pas : « y a-t-il des islamistes en Libye ? » Mais : « les islamistes étant là, en nombre, comment faire pour que ce nombre ne grandisse pas ? comment faire pour qu’ils ne tirent pas, le moment venu, les marrons du feu révolutionnaire ? » Et la réponse, au fond, était : il faut miser sur les modérés ; il faut réduire, autant que faire se pourra, l’espace, non seulement militaire, mais politique des extrémistes ; il faut, par la seule présence d’aviateurs français, américains, britanniques ou émiriens venant en renfort des insurgés, casser le maître argument de l’islamisme qui a toujours été, à la fin des fins, celui d’une guerre des civilisations où l’Occident se range, automatiquement, du côté des dictateurs contre les peuples. Cinq ans après, je pense toujours que la démarche était juste. C’est à elle que la Libye doit de n’être pas devenue une autre Syrie. Et c’est une des raisons qui font que, lorsque l’État islamique, né entre Bagdad et Damas, tente de s’implanter en Libye, les Libyens ne l’accueillent pas mais le combattent – et le chassent, hier hors de Derna, aujourd’hui hors de Syrte et, demain, hors de Sabratha.

Et puis on reproche enfin à MM. Sarkozy et Cameron d’avoir agi dans la précipitation et sans prendre le temps de « vérifier la menace réelle que le régime de Kadhafi faisait peser sur les civils ». Cela, non plus, n’est pas sérieux. Car ça se vérifie comment, une « menace réelle » ? Fallait-il, comme en Syrie justement, temporiser jusqu’à cent mille, deux cent mille, trois cent mille morts ? Ces colonnes de chars dont j’ai vu et filmé, début avril, les destructions qu’elles venaient de faire dans les faubourgs de Benghazi, aurait-il fallu attendre qu’elles aient éventré la ville ? Et Misrata ? Que disent de ces étranges interrogations les survivants de Misrata bombardée, massacrée, ses avenues réduites en cendres et en gravats, ses ultimes habitants fuyant les bombes à fragmentation et les snipers – et tout cela en avril, puis encore en mai, c’est-à-dire des semaines, et des mois, après que Kadhafi a proféré les menaces dont on se demande aujourd’hui, sous les lambris de Westminster, si ce n’était pas pure « rhétorique » à ne pas prendre « au pied de la lettre » ? La preuve, oui, hélas, par Misrata. Il aurait suffi aux honorables parlementaires doutant de la détermination de Kadhafi quand il annonce, le 22 février, qu’il va « purger » le pays de ses « rats », qu’il va opérer « maison par maison » et mener une opération « semblable à Tiananmen », de demander à voir, juste voir, les dernières photos prises, le 20 avril, par Tim Hetherington et Chris Hondros, les deux photographes courage américains assassinés, quelques heures plus tard, au cœur de la ville.

Alors, que la coalition ait manqué, après cela, au devoir d’aider la Libye libérée à construire un État, et même une société, c’est vrai.

Et que la hantise de la guerre d’Irak ait paralysé, de ce point de vue, des démocraties européennes dont on espérait qu’elles accompagnent cette nation naissante sur le long chemin de sa construction, c’est probable.

Mais l’intervention elle-même ; la réponse à l’appel d’un peuple décidé à ne plus laisser un dictateur fou disposer de lui comme il le faisait depuis quarante-deux ans ; l’alliance nouée, pour cela, avec l’Union africaine et la Ligue arabe dont on oublie un peu vite qu’elle fut la première à demander l’emploi de la force ; la mise en œuvre, alors, d’une résolution onusienne votée, pour la première fois, au titre de la responsabilité de protéger et légitimée par le Conseil de sécurité ; la définition, enfin, d’une opération ciblée, astreinte à des règles d’engagement strictes et des périmètres de sécurité rigoureux – tout cela relevait d’un modèle inverse de celui de la guerre irakienne et reste, qu’on le veuille ou non, à l’honneur de la Grande-Bretagne et de la France.


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