BRUXELLES – Dans le salon cossu d’une librairie bruxelloise, Bernard-Henri Lévy, vêtu comme d’habitude de son ample costume noir et de son immaculée chemise blanche, nous parle de son dernier ouvrage tout en sirotant un thé à l’arôme délicat. La Pureté dangereuse est un essai sur toutes les dérives qui guettent notre fin de siècle et minent notre démocratie. Les mille et une facettes de l’intégrisme se résument par une même et inquiétante volonté de pureté, énonce le philosophe. Plus terrifiant : cette quête de pureté devient toujours, à un moment ou un autre, « la machine à purger, épurer, purifier, c’est-à-dire exterminer », écrit Bernard-Henri Lévy.

Donatienne Stévigny : Un livre pessimiste ?

Bernard-Henri Lévy : Pessimiste, pessimiste… Vous trouvez que le monde est gai ? J’ai fini par me rendre compte que cette fin de siècle, qui devait être heureuse et bénie, était en train de tourner au cauchemar avec un génocide au Rwanda, des guerres civiles en Europe centrale, des guerres de conquête dans les Balkans, l’arrivée de fascistes au gouvernement en Italie et la montée du Front national à Bruxelles et à Paris… Autant de phénomènes qui donnent à cette extrême fin du XXe siècle un aspect de fleuve en crue. Tout cela m’inquiète comme l’absence de repères dans notre monde, le fait que nous n’y comprenons plus rien, la confusion dans laquelle nous sommes tous plongés. Ce livre, c’est un peu une boussole pour se repérer dans ce chaos et retrouver le cap.

Comment lutter contre ces intégrismes et plus particulièrement la montée de l’extrême droite ?

En essayant de revivifier les principes de la démocratie et en dépassant les principes nationalistes. C’est-à-dire en faisant l’Europe, en rendant aux gens le sens et le goût du débat. On s’imagine toujours que la démocratie, c’est la paix. Pas du tout. La vraie démocratie, c’est la querelle, la discorde, la désunion. Le grand penseur de la république Machiavel ne dit-il pas que la désunion, loin d’affaiblir la république, la renforce au contraire. C’est le consensus mou qui la déforce.

Faut-il laisser les partis d’extrême droite s’exprimer devant les caméras de la télévision ?

Je suis partisan de laisser s’exprimer les leaders d’extrême droite dans les journaux et à la télé, mais à condition de ne pas les traiter comme les autres hommes politiques. Concrètement, en ne les interrogeant pas sur leurs programmes au gouvernement. Il ne faut pas rendre crédible l’hypothèse qu’ils pourraient être des gouvernants possibles. Plus habile est de questionner Le Pen sur sa biographie, la guerre d’Algérie, les déclarations antisémites de ses collaborateurs, le nombre des responsables du Front national qui ont eu maille à partir avec la justice…

Un chapitre de votre livre définit ce qu’est un lien social. Comment le préserver dans les villes et lutter contre les ghettos qui rongent les cités ?

En Belgique comme en France, je propose un plan Marshall pour les ghettos des banlieues. Je crains que nous n’entrions dans un temps terrible, de grand chaos, de haine brute, de révoltes sans perspectives, de rébellions sans espoir… Je crois que nous allons vers cela.


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