Pourquoi le terrorisme islamiste fonctionne-t-il en « essaim », pas en « réseau » ni en « rhizome » – acéphale, polycéphale, tournoyant, invulnérable ?
Est-il exact que George W. Bush a failli s’étouffer avec sa brioche un jour que, regardant un match de football à la télévision, il a cru voir mollah Omar traverser le stade en criant « Guantanamo, Enron ! Guantanamo, Enron ! » ?
D’où vient que Christiane Taubira, garde des Sceaux de François Hollande, parle d’amour comme personne – dansons la capucine, temps des cerises, l’amour au temps de la Commune et du mur des Fédérés, Juliette Gréco, Colette Renard ?
Ai-je eu si tort que cela de comparer Françoise Verny à Jacques Rivière et que voulut dire celui-ci quand il écrivit à Marcel Proust : « Ils ne peuvent pas vous comprendre, leur sommeil est trop profond » ?
L’armée allemande, occupant Paris, avait-elle vraiment deux objectifs stratégiques majeurs : BDF et NRF – Banque de France et l’autre banque, la vraie, rêves et imaginaire, vers et roman français ? Et quel crédit accorder à ceux qui prétendent qu’elle en avait encore un troisième, le PCF, qui ne se fit, lui, pas trop prier ?
Comment s’y prend-on pour « cacher le corps » quand on exécute, à Katyn, la crème de la crème d’un grand pays (vingt-deux mille Polonais, dont quatre mille officiers) et qu’on parvient à garder le secret pendant soixante-dix ans (c’est-à-dire, pour être précis, jusqu’au voyage de Jean-Paul II, en 2001, à Bykovnia) ?
Information : les États-Unis ont tenté d’assassiner Fidel Castro six cent trente-huit fois. Information ? Le même Fidel Castro, soit qu’il ait la nostalgie de son éducation chez les jésuites, soit qu’il éprouve le besoin de remercier le Ciel de l’avoir fait, six cent trente-huit fois, échapper à cette mort sur ordonnance, relirait, en ce moment même, les « Exercices spirituels » d’Ignace de Loyola.
Si le Vatican est un « État », comment s’y prend-il pour gouverner par signes et ronds de fumée, citations cryptées, ellipses et regards, râles venus d’outre- tombe ? Et cette forme de gouvernementalité est-elle la vérité du pouvoir ou son exception aberrante ?
Doit-on fusiller Céline ? Brûler Sartre ? Autodafer Michel Foucault ? Et Joyce ? Est-il si clean que ça, ce diable, ce pornocrate, cet ennemi du genre humain qu’est James Joyce ?
Les jurés du plus prestigieux des prix littéraires savent-ils que les frères Goncourt furent des antisémites aussi enragés que Céline ou Drumont ?
Euripide (et, après lui, Simon Leys) avait-il raison de penser que « la mer lave toutes les souillures des hommes » ? Et faut-il, d’ailleurs, laver les souillures des hommes ?
Qui a dit : «Vulgarité des premières places, ne comptent que les places à part » ? Et qui : « Pour chercher la vérité, il vaut mieux être seul » ?
D’où vient que l’on cite de moins en moins Soljenitsyne ?
Et Chalamov ? Et les écrivains dissidents de la seconde moitié du XXe siècle ? Crainte d’énerver Poutine ou, comme on dit, de « l’humilier » ? Ah, cette façon que l’on a de répéter partout, en boucle, que l’on a « trop humilié » Vladimir Poutine alors que peu de chefs d’État auront été, depuis quinze ans, tant choyés, ménagés, épargnés, traités aux petits soins, considérés ?
Rousseau était-il un déserteur ?
Debord a-t-il raison de soutenir que la forme Mafia est « le modèle de toutes les entreprises commerciales avancées et, donc, de tous les États » ?
Qui est cette jeune femme nue, de dos, photographiée à sa toilette, à Chicago, un matin de 1952 ?
Faut-il penser, comme Baudelaire à propos de Laclos, que les révolutions sont toujours faites par des voluptueux ?
Qu’est-ce qui s’est perdu entre, d’un côté, Thomas De Quincey, Artaud, Michaux, William Burroughs et, de l’autre, les écrivains conférenciers qui amusent la croisière d’aujourd’hui ?
Telles sont quelques-unes des questions posées au fil des 807 pages (notes et index compris) du dernier livre de Philippe Sollers – Littérature et politique (Flammarion).
Oubliez l’homme au fume-cigarette, le meneur de revue qui s’est déjà payé le luxe de plusieurs disparitions et résurrections, le dernier situationniste, le voltairien catholique allé, non de Mao à Moïse, mais de Mao au souverain pontife.
Oubliez le « terroriste des lettres », les pirouettes, les polémiques, la réprobation qui le poursuit depuis maintenant plus de cinquante ans, l’art de se montrer pour se cacher, les télévisions, les journaux, la « France moisie » comme un délit, les autres délits innombrables qui sont dans son lourd dossier.
Vous avez là, dans ce livre, l’esprit et la lettre des quinze dernières années de cette histoire si française qu’est le rapport des écrivains à la politique (Mauriac, cité en exergue : « je prendrai la politique, je la baptiserai littérature et elle le deviendra aussitôt ».)
Vous avez là un Sollers au meilleur de lui-même, puissant et drôle, jubilatoire et grave, plus offensif que jamais, grand lecteur et grand vivant, renonçant d’autant moins à lire et à vivre qu’il sait qu’il y a là deux arts en perdition et qui, au train où va le désastre, ne se pratiqueront bientôt qu’en secret (les enfants de Duns Scot et de Lautréamont, les tenants de l’infracassable noyau du sujet lettré, structuré comme un langage, on aimerait dire verbé, ne sont-ils pas des sortes de marranes ?).
Ce livre est à lire sans délai.
Parce qu’il porte l’écho de la dévastation en marche. Et parce qu’il y est prouvé qu’il y a, dans les décombres, une autre manière d’exister.
Ni colère ni nostalgie – le soulèvement par le style.
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