Texte écrit avec Claude Lanzmann

L’élection du directeur général de l’Unesco est entrée dans sa phase ultime. Et la désignation de l’Égyptien Farouk Hosni, donnée, il y a quelques semaines encore, pour acquise, semble plus difficile que prévu, puisque trois tours de scrutin n’ont pas suffi à lui apporter l’écrasante majorité que lui promettaient ses partisans.

Nous ne commenterons pas à nouveau les inacceptables déclarations que nous avions rapportées ici même (Le Monde du 22 mai) et où cet homme qui a été, deux décennies durant, ministre de la culture, promettait de brûler de ses propres mains les livres écrits en hébreu qui se seraient subrepticement glissés entre les rayons de la bibliothèque d’Alexandrie. Nous ne reviendrons également que pour mémoire sur le fait que celui que l’on nous présente comme le candidat du dialogue et de la paix est de ceux qui, dans son pays, ont exprimé la plus vive et la plus constante hostilité à l’endroit de toute forme de normalisation entre Israël et ses voisins.

Ce qui est nouveau, en revanche, ce sont les mises en garde d’organisations non gouvernementales soulignant le paradoxe qu’il y aurait à élire à un poste supposé garant, dans le monde, des valeurs de liberté d’expression le ministre d’un pays classé, sous son règne, au 146e rang (sur 173) du palmarès de Reporters sans frontières en matière de liberté de la presse.

Ce sont toutes les voix d’artistes et d’intellectuels qui, en Égypte même, nous adjurent d’entendre que ce prétendu « rempart » contre l’islamisme radical s’est comporté, pendant vingt-deux ans, comme un inlassable allié des fanatiques, entérinant leurs décisions, parfois les devançant, et agissant, en tout cas, comme un censeur implacable de la pensée libre et de la culture.

L’élément nouveau, c’est, enfin, que ces semaines de débat feutré, puis les éliminatoires des premiers tours de scrutin, ont vu se dégager deux autres candidatures qui ont au moins le mérite de n’être pas entachées des mêmes possibilités de soupçon : celle de la Bulgare Irina Bokova, ambassadrice de son pays en France et partie prenante, il y a vingt ans, au processus de transition démocratique à Sofia ; et celle de l’Equatorienne Ivonne Baki, dont l’élection signifierait, au moins autant que celle de M. Hosni, un hommage rendu au Sud dans son dialogue, plus que jamais nécessaire, avec le Nord.

Les 58 votants qui, ce lundi, peut-être aussi ce mardi, départageront pour de bon les finalistes auront le choix entre deux candidates honorables et un troisième. Ils auront à arbitrer entre deux femmes que rien ne disqualifie et un homme dont tout le passé plaide contre les idéaux de l’institution, mais dont on nous demande de parier, sur la foi de vagues et hâtifs repentirs, qu’il aurait miraculeusement changé.

Le choix, le vrai choix, sera entre les tractations d’une realpolitik qui se prétend l’amie de la culture égyptienne alors qu’elle ne se soucie, en réalité, que de complaire à un autocrate — et la fidélité à des principes qui sont ceux de l’Unesco et auxquels l’Unesco a été trop souvent infidèle pour que l’on prenne le risque de les voir à nouveau foulés aux pieds.

Faut-il ajouter que l’élection, pour la première fois, d’une femme à ce poste prestigieux serait aussi, en tant que telle, un beau signal ? C’est il y a presque exactement soixante ans que Simone de Beauvoir, dans Le Deuxième Sexe, annonçait : « La femme libre est seulement en train de naître. »


Autres contenus sur ces thèmes