Clinton n’est « coupable » de rien. Clinton ne « mérite », ni de près ni de loin, le traitement dont il est l’objet. Tout homme, fût-il Clinton, a droit à sa part de secret et il faut donc, une fois pour toutes, sortir de la logique infernale qui fait dire : « d’accord, Starr va trop loin, mais Clinton l’a cherché, il s’est déconsidéré – ce lynchage dont il est la victime, il en porte, qu’il le veuille ou non, une part de responsabilité ». On peut faire à Clinton-président tous les procès que l’on veut. Ce procès-là, ce procès que l’on fait, non au président mais à l’homme et dont la pièce à conviction est une tache de sperme, cette idée d’une participation, par ce biais, à la dégradation sans précédent de sa fonction présidentielle, voilà qui est à la fois infâme et idiot. La politique, aux États-Unis, est rabaissée au rang d’un peep-show : de cette débâcle voulue, orchestrée, prolongée, par les procureurs républicains, il faut inlassablement répéter que Bill Clinton est innocent.

Clinton avait droit au mensonge. Clinton, même sous serment, et dans la mesure où il y était acculé, avait non seulement le droit, mais, d’une certaine façon, le devoir de mentir. « Ce n’est pas l’adultère qu’on lui reproche, mais le parjure. » Allons ! Comme si l’un allait sans l’autre ! Comme s’il pouvait faire ce qu’il faisait (adultère) et le faire savoir (transparence) ! Comme si mentir n’était pas la seule issue dès lors que les chiens étaient lâchés et qu’ils venaient renifler ses caleçons ! Il y a des mensonges dignes – celui-là en était un. Il y a des mensonges de légitime défense – pour défendre les siens et se défendre soi-même, pour protéger un pays qui n’avait aucune raison, en effet, de se voir infliger le déballage de ses ébats, il n’y avait qu’une solution : « faire (c’est lui, Clinton, qui parle) ce que tout le monde fait en pareil cas » – se taire, donc, et mentir.

Les ébats avec Lewinsky. On ajoute, en général, « sordides ». Ou « dégradants ». On prend l’air important, ou dégoûté, pour fustiger cette sexualité « misérable » qui aurait provoqué, dans toute l’Amérique, un immense « haut-le-cœur ». Mais enfin, qu’en savons-nous ? De quel droit, au nom de quels canons, de quel sexuellement correct nous permettons-nous de juger des pratiques sexuelles qui demeurent – c’est toujours Clinton qui parle, et il a raison – « le domaine le plus mystérieux de chaque vie humaine » ? Je n’ai pas plus d’informations qu’un autre. Mais enfin, puisque nous y sommes et que nul, donc, n’a échappé au grand spectacle voulu par le procureur Starr, le Congrès et les médias, je risque une hypothèse pas plus invraisemblable que celle de nos ayatollahs de boudoir : et si cette histoire de cul était une histoire d’amour ? et si Clinton avait aimé Monica comme, mettons, Kennedy Marilyn ? et si, avec leurs cravates et leurs cigares, avec leurs rendez-vous bizarres et leurs étreintes interrompues, avec leurs conversations téléphoniques « hard », leurs cadeaux, leurs mots doux, le président et la stagiaire avaient vécu, oui, une espèce de « passion » ? Ça ne change rien, et ça change tout. Car ce président-là devient irrésistiblement sympathique, émouvant. Et c’est lui, bien sûr, que plébiscitent aujourd’hui les sondages.

Érotique et politique. La double harmonie de l’Âme et de la Cité, du désir des princes et de celui, plus ou moins libre, de leurs sujets. Ce n’est pas une loi. Mais enfin… J’ai du mal à ne pas croire – appelons les choses par leur nom – qu’un prince frustré, qui ne baise pas, n’ait l’irrésistible tentation de baiser ses gouvernés. J’ai peine à ne pas trouver plutôt rassurante, à l’inverse, l’image d’un Bill Clinton vivant, amoureux de sa Monica, prenant le temps de l’écouter, de lui choisir ses petits cadeaux, de s’enquérir de sa vie, de lui trouver un travail. Et je suis convaincu qu’il y a effectivement de cela dans la persistante indulgence du peuple américain à l’endroit de ce chef d’État humilié, mais étrangement souverain : un président-citoyen s’éprenant, comme un Américain moyen, d’une jeune Américaine moyenne ; ce qui est bon pour la libido du président est bon pour la démocratie.

« Racontez-nous ce que nous nous interdisons de faire, ordonnent les Inquisiteurs, les peine-à-jouir, à l’accusée ! Racontez tout ! N’omettez aucun détail ! » Et quand ils en ont fini avec la malheureuse, quand ils sont bien certains de lui avoir fait dégorger ses petits secrets et d’avoir, au passage, probablement brisé sa vie, ils se tournent vers son partenaire : « À votre tour de raconter ! tout ! nous voulons tout ! les psychanalystes n’ont qu’une version – nous sommes, nous, plus exigeants et nous voulons les deux versions ! » Le coït, en somme. L’amour dans le prétoire. Des juges invisibles rejouant, comme des maniaques, l’acte qu’ils prétendent condamner. Où est l’obscénité : chez celui qui a choisi l’ombre d’un couloir pour éviter qu’on ne le voie – ou chez ceux qui, ayant reconstitué la scène, la balancent sur les écrans ? Pronostic : Bill Clinton ira au bout de son mandat et Kenneth Starr deviendra fou.


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