L’événement n’a pas fait autant de bruit qu’il aurait dû.
Or il est au moins aussi important que les prestations récentes de Hollande et Sarkozy.
Pour le dire d’un mot, Mme Le Pen, la troisième de la course, celle qui talonnait les autres et menaçait d’un nouveau 21 avril, vient peut-être, en quelques heures, de ruiner ses chances d’être au second tour de l’élection.
Que s’est-il passé ?
Il y a, à Vienne, une tradition, unique en Europe, vivace, belle, qui est la tradition des grands bals légendaires façon Autriche-Hongrie des Habsbourg.
Mais il y a, parmi ces 500 et quelques bals ponctuant la saison qui, le 31 décembre de chaque année, commence avec le chiquissime bal de l’Empereur, un événement qui jure avec le reste et fait même honte à la ville – il y a un bal qui, chaque fois, doit se tenir sous protection policière tant il est vilipendé par tout ce que la société autrichienne compte de démocrates ou de conservateurs bon teint et qui, par parenthèse, vient peut-être de vivre sa dernière édition car les autorités semblent s’être résolues à l’interdire : ce bal, c’est le bal des « Burschenschaften », ces corporations estudiantines nées au milieu du XIXe siècle, grandies dans la haine de la France napoléonienne et des juifs qu’elle a émancipés, et fédératrices, aujourd’hui encore, de tout ce que le pays compte d’adeptes de l’antisémitisme et du nazisme.
Or c’est celui-là même dont Mme Le Pen était l’invitée d’honneur vendredi dernier et où l’accompagnait Martin Graf, chef de file de l’aile dure du parti d’extrême droite FPÖ – c’est ce bal des Burschenschaften, ce mauvais bal, ce bal de la vilenie, où elle a paru si fière de se produire dans une longue robe noire (sic) et sous les applaudissements (re-sic) de l’habituelle troupe d’étudiants vieillis, nostalgiques du IIIe Reich, dont l’appartenance se marque à la balafre qu’ils portent sur la joue depuis le duel au sabre censé avoir été, dans leurs jeunes années, le sommet de leur initiation.
Pourquoi la candidate a-t-elle commis ce qui, compte tenu de sa stratégie dite de dédiabolisation, ne peut apparaître que comme une erreur ?
Comment a-t-elle pu prendre le risque d’aller valser dans le seul des bals viennois interdit, de fait, aux juifs et aux journalistes ?
Comment, pourquoi, s’est-elle ainsi exposée aux côtés des militants d’Olympia, l’une des plus dures, des plus extrémistes, des plus ouvertement « néo » de ces Burschenschaften et qui était à l’origine de l’invitation ?
Peut-être la faute à Jean-Marie Le Pen, qui était, il y a quatre ans, l’invité d’honneur de la même manifestation et qui semble avoir, décidément, moins « décroché » qu’on ne le dit…
Peut-être, oui, le loser compulsif qui vient, ce week-end, de plomber la campagne de sa fille avec deux nouvelles provocations : l’une à propos d’Intouchables, le film qui a bouleversé les Français et où il ne veut voir que la métaphore d’une France infirme sauvée par des immigrés sournois et maléfiques ; l’autre à propos, justement, de ce bal où il prétend n’avoir entendu – ah, le gracieux jeu de mots… – que du « Strauss sans Kahn » …
Ou bien elle toute seule, Marine Le Pen, qui, ignare en ces matières comme en bien d’autres, aurait réellement confondu (d’où le communiqué du FN, pathétique, qui a immédiatement répondu à la révélation de l’affaire par la presse, puis par l’UEJF et SOS Racisme) le bal de l’Opéra, le Blumenball, le Kaiserball ou le bal des Wiener Philharmoniker avec les fastes kitsch et frelatés d’une manifestation néonazie…
Ou encore – et c’est le plus probable – la vérité, juste la vérité, celle des langues, des mémoires et des inconscients politiques qui est, comme toujours, la loi de tout et qui serait, comme le naturel, revenue au triple galop…
Le résultat, en tout cas, est là.
Mme Le Pen s’est affichée avec des antisémites avérés. Mme Le Pen a marqué de sa présence un lieu où, chaque année, l’on fait fête à des négationnistes type John Gudenus ou David Irving.
Mme Le Pen a, le jour anniversaire de la libération d’Auschwitz, valsé avec des « étudiants combattants », samouraïs au petit pied qui, pour certains (les membres de la corporation d’Innsbruck), comptent l’ancien commandant du camp d’extermination de Treblinka au nombre de leurs camarades à titre posthume.
Mme Le Pen a, avant cela, pris le temps de dîner avec Heinz-Christian Strache, numéro un d’un FPÖ qui vient de renouer avec un pangermanisme radical qui, pour toute oreille autrichienne historiquement constituée, consonne avec le nazisme.
Et Mme Le Pen a, tant qu’à faire, saisi l’occasion pour retrouver, au cours d’une « réunion de travail », ses partenaires de l’Alliance européenne pour la liberté, fondée fin 2010 et qui, du FPÖ au Vlaams Belang flamand ou aux nationalistes slovaques et hongrois, rassemble tout ce que le continent compte d’excités de l’anti-Europe, d’obsédés de la menace tsigane et juive, ou de soutiens à une dictature iranienne menacée par le « bellicisme » d’Israël.
Qu’une candidate à la présidentielle, créditée par les sondages de 17 à 20 % des voix, puisse commettre pareille saloperie n’est pas une bonne nouvelle pour la démocratie.
Mais c’est une nouvelle qui a le mérite, au moins, de clarifier le débat : je disais, la semaine dernière, que Mme Le Pen n’aimait pas la France ; eh bien, c’est normal puisqu’elle flirte avec ceux qui, depuis toujours, travaillent à sa ruine et à celle de ses valeurs.
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