On aura à revenir, hélas, sur le cas du Front national et sur la fascination qu’il semble à nouveau exercer, à gauche autant qu’à droite, dans le monde ouvrier non moins que dans l’électorat conservateur.

Pour l’heure, sous réserve d’une analyse plus détaillée, mais sans attendre le dénouement du faux suspense entretenu, comme d’habitude, autour de la question des 500 signatures que Mme Le Pen peinerait à recueillir et qu’elle nous annoncera, le moment venu, comme une première et héroïque victoire sur un “établissement UMPS” s’employant à la bâillonner, on rappellera une série de faits hélas incontestés.

Il est vrai, naturellement, que Mme Le Pen déploie une grande énergie pour tenter de dédiaboliser son parti et faire croire qu’il a changé.

Mais il est non moins vrai que ce “changement” n’est pas encore allé jusqu’à un désaveu clair, sans réserves ni nuances, des provocations antisémites (Durafour crématoire… les chambres à gaz, détail de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale…) qu’affectionnait son père.

Il n’est pas allé, l’an dernier, lors du Congrès qui l’a investie, jusqu’à lui arracher un mot, une moue, de protestation lorsque le président sortant a dit d’un journaliste molesté par son service d’ordre que le fait qu’il fût juif “ne se voyait ni sur sa carte ni, si j’ose dire, sur son nez”.

Il n’est pas allé jusqu’à empêcher que soient régulièrement identifiés – et, quand ils étaient trop voyants, mis à l’écart ou momentanément suspendus – des responsables régionaux plus que sulfureux : tel Yvan Benedetti dont un site Internet révéla, l’an dernier, qu’il se flattait d’être “antisémite, antisioniste, antijuif” ; tel Alexandre Gabriac se faisant photographier en train de faire le salut nazi devant un drapeau hitlérien.

Ce changement n’empêche pas Mme Le Pen de confier une partie de la communication du “nouveau” parti à un ex-président du GUD couvrant, pour ainsi dire, l’entier spectre de l’infamie : admirateur de Mussolini ; fervent supporter du Hezbollah libanais ; soutien d’un Bachar el-Assad auquel il n’hésitait pas à écrire, fin mars 2011, au début de massacres de masse réprouvés par le monde entier : “le lobby sioniste (aux ordres duquel est la presse française) rêve de déstabiliser votre magnifique pays ; tous ceux qui participent directement ou indirectement à ces manifestations se font complices de ce lobby” (Abel Mestre et Caroline Monnot, Le Monde, 6 septembre 2011).

Il ne l’a pas empêchée, elle-même, dans l’exacte ligne qui était celle de son père célébrant naguère Saddam Hussein ou opposant, dans l’Algérie des années 90, la “djellabah nationaliste” des égorgeurs du GIA au “jean cosmopolite” des militantes et militants des droits de l’homme qui n’avaient pas volé ce qui leur arrivait quand ils voyaient, sous leurs yeux, découper en rondelles leurs bébés, il ne l’a pas empêchée, dis-je, d’être l’une des dernières, à quelques heures de sa chute, à continuer de soutenir la dictature de Kadhafi.

Le recyclage des anciens mégrétistes et autres idéologues d’un Grece qui fut, dans les années 80, le laboratoire intellectuel d’un néoracisme différentialiste et à prétention scientifique est un autre élément qui ne plaide guère pour le changement.

De même que les dérapages de Mme Le Pen lorsqu’elle voit dans les origines étrangères de la candidate écologiste un obstacle à sa candidature. Ou quand, dans un communiqué de presse, intitulé “Pour les apatrides, la France doit devenir chariacompatible”, elle fustige les sombres menées d’un G20 soutenant “l’installation de la charia dans notre nation peuplée d’irréductibles Français qui refusent de se soumettre au courant mondialiste”. Ou encore quand, retrouvant les mots d’un des pères fondateurs, Léon Degrelle, du nazisme de langue française, elle insulte “Mme Lagarde, l’Américaine à passeport français”, cédant “au lobby des banksters anglo-saxons”.

Et je ne parle pas de ce ton haineux, insultant, parfois étrangement ordurier, quand elle brocarde les “collaborateurs appointés” et autres “agents doubles” de ce qu’elle appelle “la caste” et qui lui arrache des accents dignes de la rhétorique de l’extrême droite des années 30.

Le style c’est l’homme.

La rhétorique c’est le fin mot, parfois le dernier, de la politique.

Et il y a dans les outrances de Mme Le Pen, dans son goût pour l’invective, dans son humour de corps de garde ou dans ses polémiques rances avec les Soral et autres Dieudonné, quelque chose qui n’augure rien de bon pour la campagne qui commence.

Quant à son programme, quant à sa façon de vouer aux gémonies, par principe, tout ce que les dirigeants de notre pays, qu’ils fussent de droite ou de gauche, ont pu faire de raisonnable et, parfois, de grand, on l’attribuera, au choix, à la volonté démagogique d’attiser les mécontentements et les désespoirs ; à ce radicalisme qui a toujours été la marque, en Europe, de la droite dite révolutionnaire ou antisystème ; ou à une détestation sourde, assez mystérieuse, et dont il faudra, un jour, sonder les symptômes et les raisons, du pays dont elle prétend défendre la pureté perdue.

Mme Le Pen n’aime pas la France.


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