Ce nouveau raffut orchestré par les Le Pen autour de leur difficulté à réunir les 500 signatures qu’exige la loi pour tout candidat à la présidence de la République est un piège.

Car de deux choses l’une.

Ou bien les Le Pen ne jouent pas ; leurs idées font effectivement peur, ou paraissent farfelues, irresponsables, idiotes, à l’immense majorité des 47 000 maires et autres élus qui répugnent, en conscience, à leur donner cette tribune supplémentaire qu’est une élection présidentielle ; faut-il vraiment, dans ce cas, entrer dans l’étrange raisonnement qui est celui des dirigeants du FN et qui fait qu’au lieu de ne s’en prendre qu’à eux-mêmes, au lieu de s’interroger sur la responsabilité qu’ils porteraient, comme chacun, dans leur éventuel échec, au lieu de se remettre en question et de poser la question, par exemple, de leur manque d’organisation, de leur incurie, des schismes à répétition qui les ont affaiblis, au lieu de se demander, surtout, ce qui, dans leur discours, dans leurs postures, dans les liens qu’ils continuent d’avoir avec tels néonazis français, autrichiens, syriens, iraniens, autres, a pu effaroucher à ce point les édiles non inscrits, sans étiquette, qui, d’habitude, les parrainaient, ils se posent en victimes d’une loi prétendument liberticide mais qui est, en fait, la même pour tous ?

Ou bien ils dramatisent exprès ; ils ont sous le coude, comme le pensent la plupart des observateurs, l’essentiel de leurs parrainages mais se réservent de les publier à la dernière minute, au terme d’un insoutenable et faux suspense, en les présentant comme une revanche sur un « établissement » qui s’employait à les bâillonner ; et ils sont alors en train, avec notre soutien actif, de donner à leur entrée en campagne l’élan, l’essor, le ressort qui lui manquaient – ils sont en train, forts de notre crédulité et, parfois, de notre complaisance, d’inventer leur Bourget, leur porte de Versailles, la scène fondatrice d’une précampagne qui peinait à démarrer et dont les seuls événements notables étaient, jusqu’à présent, un bal néonazi à Vienne, les exclusions à répétition de nostalgiques du IIIe Reich s’obstinant à ne pas entendre les appels à la res-pec-ta-bi-li-té sur lesquels la secte familiale voudrait désormais s’indexer ou l’arrivée, en lieu et place des ralliements mirobolants que l’on avait promis, de tel avocat en perdition, de tel souverainiste en deuil de Chevènement ou de la veuve d’un général tortionnaire…

Dans les deux cas, par ailleurs, et par le seul effet de ce tapage partout répercuté, les Le Pen auront, si l’on n’y prend garde, engrangé toute une série de gains politiques dont la portée ira, hélas, au-delà de l’élection.

Ils auront donné corps à cette chimère « UMPS », pur produit de leur imagination, mais pièce essentielle de leur doctrine.

Ils auront jeté le doute, c’est-à-dire, au fond, l’assaut sur une loi organique, intermédiaire entre la loi ordinaire et la loi constitutionnelle et pièce maîtresse, à ce titre, de notre identité républicaine.

Ils auront dicté leur calendrier aux médias qui, au lieu de parler de leur programme débile, auront passé de précieux jours à se poser la grave question de savoir si Mme Le Pen bluffe un peu, beaucoup, passionnément, pas du tout.

Ils auront lancé des débats absurdes et, si tout cela s’avère n’être qu’une vaste comédie, absurdement mangeurs de temps, de commentaires, d’énergie, sur la possible obligation de les aider, en une sorte de réversion carnavalesque des pactes républicains de jadis, à rassembler les précieux parrainages.

Avec cette idée, enfin, de front républicain à l’envers, avec cette façon étrange qu’ont des éditorialistes d’habitude mieux inspirés – je pense à mon ami Laurent Joffrin – de céder à leur chantage en proposant que les autres partis parrainent, promeuvent, on dira bientôt sponsorisent, l’entrée en lice de la candidate FN, on fait un pas de plus sur la voie d’une banalisation qui est le vrai but de ces gens depuis trente ans.

Face à cette opération de propagande à laquelle, je le répète, trop de bons esprits se prêtent, on se contentera, ici, de rappeler des évidences sur lesquelles il est plus que jamais vital de ne pas céder.

1. Le FN, sous Marine comme sous Jean-Marie Le Pen, est le Parti de l’éructation, de la haine, du mépris de la France et des Français – ce n’est toujours pas un parti comme les autres.

2. Ses difficultés à recueillir les indispensables signatures prouvent, même s’il les surmonte, que la répulsion qu’il inspire n’est pas une lubie d’intellectuels ou de militants antiracistes – c’est un sentiment profond, profondément diffusé dans le pays et, apparemment, grandissant.

3. Présent ou pas à l’élection – et, s’il ne l’était pas, est-il sûr que la démocratie y perdrait ? – il est essentiel que son influence régresse encore et que le bon débat entre les choix de société portés par les grands et les petits candidats ne soit pas trop pollué par des activistes dont le programme n’est pas de gouverner le pays, mais de le déstabiliser.

20 %, disent les sondages ? 25 % ? On fait le pari, ici, d’un Front national que la sagesse des électeurs, aidée de sa propre stupidité suicidaire, ramènera à un niveau plus conforme à l’esprit de la République et à l’honneur de la France.


Autres contenus sur ces thèmes