Dans cette première pièce de Bernard-Henri Lévy, ce qui en premier lieu intrigue et émeut son ami spectateur, c’est le regard désespéré et pourtant rieur qu’il porte sur notre siècle finissant.

Tableaux d’exposition à la Moussorgski ? Une promenade haletante d’un thème à l’autre, d’une époque à l’autre ? On dirait aussi un bilan. Lucide, courageux, enveloppant les événements néfastes de l’histoire contemporaine. Les déceptions inhérentes aux premières promesses du communisme, la trahison des êtres simples dans leur soumission au pouvoir nazi, la responsabilité de l’intellectuel dans l’aventure sanglante de Pol Pot : où et quand les choses ont-elles donc mal tourné pour que l’humanité assoiffée de fraternité bascule dans la souffrance subie ou infligée ?

Je ne me considère pas critique de théâtre, mais je sais pour l’avoir vu que le jeu des comédiens est tout simplement admirable. J’affirme aussi que tout ce que Bernard-Henri Lévy fait et dit sollicite notre attention. Les problèmes qu’il pose et qu’il examine nous interpellent avec sa puissance d’expression habituelle. Comme dans ses essais où il démasque brillamment la barbarie idéologique à l’extrême-droite comme à l’extrême-gauche, l’auteur touche dans cette comédie métaphysique qu’il veut tragique, et inversement, à ce qui constitue l’essence même du projet humain pour une société oscillant entre l’attrait de la mort et la séduction de la farce rédemptrice. Lénine, humain ? Une femme seule le proclame. Un fonctionnaire allemand, normal, bien qu’il ait vu, de près, de trop près, le fond de l’abîme ? Il en est persuadé. Symboliquement, quelques-uns des grands drames de ce siècle, Bernard-Henri Lévy les aborde sur le plan non des victimes ni des tueurs, mais de leurs complices. Mais alors, où commence et où s’achève la responsabilité des hommes ? Le rachat et l’expiation seraient-ils encore possibles ? Comment fait-on pour pleurer dans un monde noyé dans les larmes des innocents et le bavardage des cyniques ? Comment s’arrange-t-on pour s’inventer des raisons pour rire, pour aimer, pour recommencer, alors que la lumière la plus belle reste froide ? À la fin on est forcé à s’interroger : qui, sur lequel de nos semblables, signera le jugement dernier ?

Dans l’œuvre de Bernard-Henri Lévy, cette pièce représente non seulement une étape et un tournant, mais aussi un pas en avant.

Reste la question inévitable qui découle du spectacle : y-a-t-il un avant ?


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