C’est donc jeudi prochain, 17 septembre, que les 58 pays votants diront s’ils désignent ou non, à la tête de l’Unesco, un homme désormais célèbre pour avoir promis de brûler de ses mains les livres écrits en hébreu qui pourraient s’être glissés, malgré la vigilance des islamistes, dans les rayons de la bibliothèque d’Alexandrie.

Cet homme s’appelle Farouk Hosni.

Nous avons, avec Claude Lanzmann et Elie Wiesel, porté à la connaissance de l’opinion française (Le Monde du 22 mai 2009) puis américaine (The Huffington Post du surlendemain) ses déclarations nauséabondes.

Et cet incendiaire de livres et d’âmes s’étant lancé, depuis cette date, dans une campagne électorale dont la frénésie n’a d’égale que l’habileté à désinformer, je veux répondre ici, avant qu’il ne soit trop tard, à quelques-uns des arguments développés, peut-être de bonne foi, par ceux qui se résignent à son élection.

Premier argument. Farouk Hosni se serait « excusé » de ses propos. C’est faux. Car outre que son texte de contrition a été, comme nous le savons aujourd’hui (Le Monde du 2 septembre), en partie rédigé par un autre (le Français Henri Guaino), il ne retirait rien des mots incriminés et les mettait juste au compte d’un tempérament trop bouillant.

Deuxième argument. Farouk Hosni est un tacticien jouant au plus fin avec son vrai ennemi qui serait le parti des Frères musulmans. C’est une plaisanterie. Car, d’abord, l’Égypte dont il est le ministre de la Culture depuis vingt-deux ans est un pays où aucune œuvre de l’esprit ne peut être rendue publique sans avoir reçu le visa préalable des religieux de l’Institut théologique d’Al-Azhar ; et ensuite, et surtout, il y a une multitude de cas où c’est lui, le ministre, qui, prenant les devants, a plaidé « l’offense à l’islam » pour sanctionner un film (L’Immeuble Yacoubian), un livre (l’autobiographie, en 2001, de Nawal el-Saadawi), des poèmes (l’affaire, en 2007, de la revue Ibdaa dont le retrait de la vente a provoqué une mise au point embarrassée des religieux d’Al-Azhar qui n’en demandaient eux-mêmes pas tant !).

Troisième argument. Farouk Hosni est égyptien et on fâcherait, en le récusant, ce grand pays qu’est l’Égypte. On atteint là les sommets de la mauvaise foi. Car s’il est exact que l’homme est soutenu par l’autocrate dont il chante servilement la gloire depuis des décennies, il ne l’est évidemment pas par l’autre Égypte, la seule qui compte en la circonstance, puisque c’est celle des créateurs et des artistes. Que ceux qui en douteraient songent au réalisateur Khaled Youssef dont le scénario du dernier film, Moment de faiblesse, vient d’être censuré au motif qu’il traitait de la virginité avant le mariage. Qu’ils se procurent la bande dessinée de Magdy el-Shafee que les « brigades du vice » chargées de sévir contre les « atteintes à la morale » ont retirée du marché sous prétexte qu’elle contenait une vignette où l’on lisait : « dans ce pays, ce sont les pauvres qui vont en prison ». Que les représentants des États qui voteront jeudi prochain se penchent, avant de fixer leur choix, sur le cas de quelques-uns, au moins quelques-uns, des innombrables auteurs que Farouk Hosni et ses services ont persécutés ces dernières années et dont je tiens la liste à la disposition de qui veut – Messieurs Kouchner et Sarkozy, par exemple.

Car la question, dorénavant, est simple.

Va-t-on confier les rênes de l’agence culturelle mondiale à un homme qui, lorsqu’il entend le mot culture, sort ses ciseaux ou son briquet ?

Peut-on mettre à la tête d’une organisation vouée à défendre les principes de liberté d’opinion et d’expression le ministre d’un pays qui a réussi à se classer, sous son règne, 146e sur 173 au (sombre) palmarès de Reporters sans frontières – et qui, comme si ce n’était pas assez, vient juste de se lancer dans une chasse aux blogueurs, facebookers et autres internautes aussi bête que sauvage (le hasard des calendriers ferait que son entrée dans ses nouvelles fonctions coïnciderait avec la promulgation, en Égypte, d’une loi qu’il a voulue et qui prévoit de sévères peines de prison en cas d’« abus d’utilisation d’Internet » – sic) ?

Et puis va-t-on, sous prétexte qu’il représenterait « le Sud » ou « le monde arabe », donner le « comité du patrimoine mondial » à un responsable qui, lorsqu’il avait la charge de son patrimoine national, a vu trois de ses collaborateurs directs, plus un ancien chef de cabinet, lourdement condamnés pour avoir trempé dans un trafic de trésors archéologiques égyptiens ?

Je me fais une trop haute idée du pays de Naguib Mahfouz et des temples d’Abou-Simbel – je mets, aussi, trop haut les exigences du dialogue Nord-Sud – pour accepter que l’on raisonne de la sorte.

Alors, sans doute est-il déjà tard.

Peut-être eût-il fallu que le Maroc maintienne la candidature d’Aziza Bennani, le Brésil celle de Gilberto Gil, ou que le juriste algérien Mohamed Bedjaoui soit soutenu par son pays.

Mais l’heure n’est plus aux regrets stériles. Et, au point où nous en sommes, il n’y a, pour ceux qui, en Europe et ailleurs, ne veulent pas voir dévoyer le bel impératif de dialogue des civilisations et des cultures (et pour ceux qui, aussi, se réjouissaient de voir l’image de l’Unesco peu ou prou restaurée ces temps derniers), qu’une urgence : barrer la route à un homme dont tout le passé plaide contre les idéaux de l’institution.


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