La présidence Obama sera une date décisive, d’abord, dans l’histoire de ce que l’on persiste, aux États-Unis, à appeler la « question raciale ». Non que le racisme, bien entendu, soit appelé à disparaître de leur imaginaire national. Et il suffit, d’ailleurs, de se déplacer à l’intérieur du pays pour voir que la montée en puissance du candidat « noir » a eu pour corollaire une remontée symétrique de toute une ultra-droite nostalgique de la suprématie blanche et du bon temps ségrégationniste. Mais il faut entendre ce que dit Obama de ce clivage et de la façon dramatique dont il structure, depuis trois siècles, la société américaine. Il faut l’écouter quand, dans chacun de ses discours, il cite le « E pluribus unum » de Virgile d’où la devise du pays est tirée et qu’il traduit : « notre nation est plus que les parties qui la composent. » Et il faut mesurer le tabou qu’il brise, enfin, quand il s’adresse aux Noirs eux-mêmes pour les inviter à ne plus imputer au seul racisme la source de leurs maux. Là aussi, c’est un propos nouveau. C’est le message du dernier King, celui des années 1967-1968 ; mais c’est un propos nouveau par rapport à tous les discours faisant de l’appartenance à la « race » le dernier mot de l’identité de chacun – et son impasse.

La présidence Obama rendra espoir, ensuite, à une Amérique que les huit années de présidence Bush avaient fait douter d’elle-même et de cette fameuse « mission » dont on oublie à quel point elle lui est, toutes tendances politiques confondues, consubstantielle. Là non plus, Obama ne fera pas de miracle. Et nul ne s’attend, ici, à le voir effacer en quelques jours les dégâts de ces années de dérive « ultralibérale ». Mais qu’il soit l’homme du nécessaire retour de balancier en direction d’un « rooseveltisme » plus attentif au sort des laissés-pour-compte, nul, en revanche, n’en doute. Pas plus que l’on ne doute de sa sincérité quand il déclare, inlassablement encore, qu’il ne sera jamais le Président d’une Amérique (bleue, progressiste…) contre une autre (rouge, conservatrice…) mais qu’il essaiera de rendre son sens à la beauté étrange du nom de ce pays sans nom, mais non sans vocation, que sont les États unis d’Amérique. Le duo McCain-Palin voyait l’« American dream » comme un âge d’or à retrouver. Lui, Obama, le voit comme un âge nouveau à inventer, un modèle à jamais sur le métier, un projet : pour parler comme Philip Roth, non pas une « pastorale » mais une invention sociale et politique, une frontière qui se déplace et qu’il faut tracer à nouveau – et il est bien plus fidèle, ce faisant, à cet esprit pionnier qui fit la grandeur de son pays. Et quant aux rapports, enfin, avec le reste de la planète, les sceptiques peuvent répéter jusqu’à la nausée qu’une présidence Obama ne changera rien à l’hyperpuissance américaine et à la réprobation qu’elle suscite. Il faut essayer de se figurer le visage qu’elle se donne en portant à la Présidence le représentant d’une minorité qui, hier encore, ne votait pas. Il faut essayer de le voir, ce visage, avec les yeux d’un Congolais qui avait fini par se convaincre qu’il y a, non pas une, mais deux humanités. Il faut le voir avec les yeux d’un Soudanais qui, quand les États-Unis demandent à son gouvernement d’arrêter le massacre au Darfour, a pris l’habitude d’y entendre la manifestation d’un racisme de petit Blanc néocolonialiste. Il faut imaginer un discours d’Obama à Kaboul. Ou une adresse à la nation irakienne persuadée, à tort ou à raison, que la Maison-Blanche était aux mains d’une clique de Texans venue lui piller son pétrole. Il faut essayer de le regarder comme on le regardera dans ces pays métis que sont le Brésil, la Bolivie, le Venezuela. L’antiaméricanisme ne disparaîtra pas, là non plus, par enchantement. Mais il aura la vie plus dure. Il devra réviser son argumentaire. Onde de choc planétaire ? Autre new deal, géopolitique celui-là ? Une chose est sûre – qui fait peser sur les épaules du nouveau Président une responsabilité, pour le coup, métahistorique : jamais élection américaine n’aura suscité, dans le reste du monde, une espérance à la fois si folle et si raisonnée.


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