J’ai péché par optimisme jeudi dernier.

Non seulement boutefeu et Hortefeux l’ont emporté, non seulement le malaise, voire l’abstention, d’une poignée de parlementaires – honneur à eux ! – n’a pas empêché le député Mariani et son ministre de l’Immigration de faire voter leur amendement, non seulement l’idée du fichage par ADN a fait son entrée discrète, et sous réserve de validation par le Sénat, dans les pratiques républicaines, mais il semble bien que, comme souvent, l’arbre cachait (mal) la forêt et que, derrière cette mesure que l’on nous agitait sous le nez, s’annonçait une politique de plus vaste ampleur dont il revenait au Président lui-même, dans son entretien télévisé avec Arlette Chabot et Patrick Poivre d’Arvor, de nous révéler la pleine substance.

Cette politique, c’est celle des quotas.

Et ces quotas sont, de l’aveu donc de Nicolas Sarkozy, des quotas, et par « branche », et par « zone géographique » – autrement dit, et qu’on le veuille ou non, selon des critères ethniques.

J’ai dit et je répète qu’il est juste, pour un pays, de réguler son immigration.

Je redis, parce que c’est l’évidence, que la France n’a, pas plus que quiconque, vocation à accueillir toute la détresse du monde.

Et je précise d’ailleurs, à l’attention de ceux qui l’ignoreraient ou qui, comme le Président, feignent de l’avoir oublié, que nous avons déjà les moyens réglementaires de favoriser, sans loi, par simple circulaire, l’arrivée, une année, de personnels soignants ; une autre, d’ouvriers du textile ou du bâtiment ; une autre encore, d’informaticiens de haut niveau (exemple, en juillet 1998, de cette directive qui, à la veille du bogue redouté de l’an 2000, permit le recrutement de plusieurs milliers d’ingénieurs, pour la plupart indiens…).

Mais il y a une différence entre « favoriser » et « décider ».

Il y a un monde entre accompagner intelligemment, souplement, l’évolution annoncée d’une économie et inciter un État, comme à l’époque de l’Union soviétique, à planifier, dans le détail, le nombre et le profil de ses immigrés.

D’abord, cela ne marche pas.

Oui, les observateurs savent tous que les pays qui ont essayé, les gouvernements qui ont cru que l’on pouvait fixer par quotas le type de main-d’œuvre dont leur société aurait besoin, ont dû régulièrement déchanter et – à l’exception de ceux que, telle l’Australie, leur géographie isole un peu – admettre que la formule crée plus de problèmes qu’elle n’en résout : bureaucraties géantes et absurdes ; incapacité du marché à répondre aux exigences de l’administration ; et, souvent, l’effet inverse de celui que l’on escomptait – le chiffre « plafond » opérant comme un appel d’air, presque une pompe à desperados tentant le tout pour le tout pour « entrer » les premiers dans le quota et finissant en clan- destins…

Mais la méthode, quoi qu’en pense M. Hollande (qui veut bien, comme il dit, « regarder » cette affaire de quotas et qui a perdu là une bonne occasion, non de se taire, mais de parler en faisant entendre, enfin, la voix d’une opposition de plus en plus ouvertement réduite, hélas, à ses chamailleries d’appareil), présente surtout trois inconvénients majeurs, car touchant, eux, comme toujours, au registre du symbolique et des principes.

Primo, et une fois de plus, elle traite les hommes comme des choses ; elle réduit les cas (par définition singuliers) à des chiffres (par définition bruts, abstraits) ; elle introduit la mécanique de l’inhumanité là où il faut, au contraire, souplesse, doigté, respect, humanité.

Secundo, en suggérant l’idée que les grands pays auraient vocation à aller se servir sur le marché mondial de la matière humaine et notamment de la matière grise, on institutionnalise le pillage, non des biens, mais des cerveaux ; on relégitime, mais par le haut, cette inégalité de destin dont le concept a fait tant de mal à ce que l’économiste libéral Pierre Moussa nomma jadis les « nations prolétaires » ; au lieu de la bonne logique du partenariat et du développement partagé, en lieu et place de l’aide à la constitution de ce tissu économique qui est, à terme, le seul remède possible, et à l’extrême misère, et au flot de sans-papiers qui en est le corrélat, on privilégie la logique à courte vue, terrible, du prédateur.

Tertio, et enfin, la France est ce qu’elle est ; elle a son histoire, son génie propre et, en l’espèce, sa Constitution ; et inscrire tout cela dans les textes, graver dans le marbre du droit l’idée d’une distinction par l’origine de ceux qui sont appelés à être nos hôtes et, pour certains, au bout de X années et selon des critères qu’il ne serait, en revanche, nullement choquant de préciser encore et de solenniser (désir clairement exprimé, adhésion de principe au pacte démocratique, serment républicain), n’est tout simplement conforme ni à l’esprit ni à la lettre de la Constitution.

Ira-t-on, pour parvenir à distinguer entre immigration subie et choisie, autrement dit, et quoi qu’on nous raconte, entre bons et mauvais étrangers, jusqu’à sortir l’arme lourde de la révision ? On verra bien. Au moins les choses auraient-elles, alors, le mérite d’être claires – et les termes de la forfaiture exposés au jugement de tous.


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