C’est donc ce lundi, 16 novembre, que le président iranien Rohani sera reçu à Paris.

Je n’oublierai pas, ce jour-là, l’histoire de Sakineh Mohammadi Ashtiani, cette jeune femme dont le seul crime fut d’avoir peut-être rêvé d’amour et que le prédécesseur de l’actuel président avait fait condamner, pour cela, à la lapidation – un mouvement d’opinion international a contraint le régime à reculer, puis à la gracier, mais il s’en est fallu de peu…

Je n’oublierai pas le cas du cinéaste Jafar Panahi, martyrisé, embastillé et, aujourd’hui encore, bâillonné

– on sait dans quelles conditions surréalistes, quasi ubuesques, et en allant au-devant de quels risques, il a pu tourner ces chefs-d’œuvre d’insolence et de paradoxale liberté que sont ses Ceci n’est pas un film, puis Closed Curtain et, tout récemment, Taxi Téhéran.

Je n’oublierai pas davantage le millier d’assassinats légaux perpétrés, chaque année, par une justice aux ordres d’un ministre qui fut dans sa jeunesse un des trois membres de la tristement fameuse Commission de la mort responsable, à la fin des années 1980, de l’exécution de plus de trente mille prisonniers politiques – le mollah Mostafa Pour-Mohammadi, car c’est lui, n’a toujours pas répondu de ces crimes devant les survivants de ses terribles geôles…

Ni, encore, l’alliance sans faille, scellée dans la même idéologie de haine et de pureté, avec quelques-unes des organisations terroristes les plus redoutables du moment – Hamas à Gaza, Hezbollah au Liban ou, ce qui revient presque au même, les organes de terreur d’un Bachar el-Assad dont je répète qu’il a, à ce jour, dix fois plus de sang sur les mains que cette incarnation du mal absolu qu’est son jumeau, l’État islamique.

Et je ne pourrai pas ne pas penser enfin qu’il s’en est fallu de peu, très peu, que ce régime ne se dote de l’arme nucléaire dont il avait froidement annoncé qu’il entendait bien se servir et qu’elle aurait alors pour cible numéro un le « petit Satan » Israël.

Cela étant dit, le compromis de Vienne ayant été signé en juillet et la France, qui avait bataillé pour en durcir les termes, l’ayant, évidemment, ratifié, il y avait – il y a – cinq raisons essentielles, pour nous, d’entrer plus avant dans le processus et de continuer de jouer, sans illusions mais avec détermination, la carte du rapprochement et du dialogue.

1. Les installations de production de matière fissile à usage militaire ayant été, non démantelées, mais gelées et placées sous surveillance, nous n’avons pas d’autre alternative que de miser sur l’intérêt bien compris des Iraniens et de nous mettre en position, si besoin, de leur en rappeler les inévitables contreparties.

2. Que ce soit au Yémen en proie à l’insurrection houthiste, en Afghanistan, en Irak, au Kurdistan et, naturellement, dans cette Syrie dévastée où il faudra bien trouver un jour une porte de sortie pour le bourreau en chef, l’Iran est un acteur clé qu’aucune grande diplomatie ne peut prétendre ignorer ou tenir à l’écart.

3. Dans le Grand Jeu dont la région est le théâtre et dont les acteurs les plus douteux, faux alliés de l’Occident, sont la Turquie d’Erdogan en guerre contre ses Kurdes et l’Arabie saoudite des wahhabites en symbiose théologico-politique, hier avec Al-Qaeda, aujourd’hui avec Daech, l’ancienne Perse peut représenter une forme de contrepoids dont il n’est pas exclu que nous ayons un jour à le mettre dans la balance des équilibres géostratégiques.

4. Pour qui consent à voir que l’Histoire contemporaine ne s’écrit pas au seul présent mais aussi au lointain passé, il est clair que cette Perse de Cyrus, de Xerxès, mais également de Rûmî, Omar Khayyam, Sohrawardi, Shamsoddin Shararuzi, Ibn Kammuna ou Jalaluddin Dawwani n’est pas l’ennemie de la civilisation occidentale, mais une interlocutrice de longue date et de haute culture.

5. S’il y a bien, dans cette partie du monde, une société qui aspire à l’ouverture et qui n’a pas cessé, depuis deux décennies, de le prouver, à chaque élection, face à la répression sans pitié des Bassidj, Pasdaran et autres sbires du régime, s’il y a bien un peuple qui, dans sa majorité, est mûr pour le printemps et que la levée des sanctions confortera dans ses espérances et son désir de liberté, c’est bien là, à Téhéran, à Ispahan et même à Qom que s’en trouvent l’épicentre et le cœur.

Ce pari sur un Iran réformateur et réconcilié avec sa grandeur, c’est celui que font aujourd’hui, à l’intérieur comme à l’extérieur, nombre d’opposants historiques à la République fondée par l’ayatollah Khomeiny.

C’est celui du fondateur de la Vague verte, Amir Jahanchahi, dont j’avais salué ici même, dans ces colonnes, le livre sur Ahmadinejad qualifié de « Hitler iranien » et qui fait aujourd’hui le choix de ce que Samuel Pisar, au temps de la détente avec l’URSS, appelait « les armes de la paix ».

Même si la vigilance est, plus que jamais, de mise et si, en matière de droits de l’homme et des femmes, il ne faut pas se lasser d’exiger signes, preuves et actes sans retour, nous aurions mauvaise grâce à ne pas faire, nous aussi, un crédit prudent et mesuré à ce nouvel Iran qui sort de son enfer et fait ses premiers pas au purgatoire.


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