Vingt mois après le début de la guerre en Ukraine et des centaines de milliers de morts plus tard, un cinquième du territoire ukrainien est toujours sous occupation russe. L’opinion publique mondiale se lasse de ce conflit qui s’enlise à l’approche de l’hiver, comme on se fatigue d’une série aux saisons trop nombreuses, quand l’intrigue tire en longueur et que les rebondissements se font rares. Il faut dire que des fosses communes de Boutcha aux tunnels d’Azovstal, des batailles du nord de Kiev à celle de Bakhmout, avec son lot de massacres, de retournements de situation, de personnages maléfiques, de héros d’un autre âge, de milices de prisonniers ou d’aliénés, de catastrophes écologiques, de menaces nucléaires, la guerre d’Ukraine a jusqu’ici tenu le monde en haleine, suscitant les terreurs les plus viscérales et les indignations les plus légitimes. Las, à l’approche de l’hiver, la contre-offensive patine. Le front se stabilise comme si aucun camp n’était plus en mesure de remporter la victoire…

Et puis le terrible pogrom du 7 octobre, en Israël, avec ses tragiques conséquences et le possible embrasement des milices religieuses du Moyen-Orient agitées par l’Iran, a lancé un autre « blockbuster » qui chasse le premier. L’attention des Américains à un an de la présidentielle se déporte. En juin, ils étaient 65% à vouloir que le Congrès fournisse plus d’armes à Kiev. Ils ne sont plus que 41%. Au point que Joe Biden a dû demander au Congrès un package d’aide commun de 105 milliards de dollars à destination d’Israël, de l’Ukraine et pour la sécurisation de la frontière avec le Mexique (dont 61,4 milliards pour l’Ukraine). La guerre au Proche-Orient « détourne l’attention » de l’est de l’Europe, a reconnu le président Zelensky lors d’une conférence de presse.

Mais il n’y a pas que la communauté internationale qui se lasse. Alors que l’âge moyen des conscrits ukrainiens approche les 43 ans, on commence à entendre parler de déserteurs. Même les héros sont fatigués. Dans l’entourage de Zelensky, on murmure que le président se fait des illusions. « Nous sommes à court d’options. Nous ne sommes pas en train de gagner. Mais essayez de lui faire entendre cela… », a confié un de ses lieutenants à Time Magazine.

C’est dans ce contexte que Bernard-Henri Lévy, inlassable pourfendeur de causes, sort son troisième film sur l’Ukraine. Un chien qui fraye péniblement son chemin à l’intérieur d’un tube de fils de fer barbelés, le silence d’une ville qui se noie dans les eaux du Dniepr : de cette guerre, les très belles images de Marc Roussel servies par une voix solennelle resteront. Elles disent aussi le soutien indéfectible à la cause ukrainienne d’un homme, plus tout jeune, qui arpente toujours de plus près leurs lignes de front, côtoie ses unités d’artilleurs ou de pilotes de drones, comme si BHL s’imposait de frôler la mort, en hommage au courage de ces combattants de la liberté. Et puis, il y a ces témoignages de jeunes gens estropiés, amputés jusqu’à la hanche pour certains, qui se rééduquent pour pouvoir encore servir leur pays à leur mesure et bénissent cette blessure qui a donné un sens à leur vie. Que l’Europe et les États-Unis puissent être inspirés par leurs voix, espère BHL : permettre qu’on livre enfin les armes à ceux qui luttent contre Poutine et l’impérialisme de notre époque ; rompre enfin « avec ce calcul sordide qui leur permet de ne pas perdre mais non de l’emporter ». Pour ces gens qui combattent en enfer, et pour nous, qui sommes à ses portes.

L’Ukraine au cœur, sur France 2, mardi 14 novembre à 21h10.


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