Quand en plein Festival de Cannes, un communiqué de Thierry Frémeaux annonça que Pehsmerga était ajouté à la sélection officielle, il offrit une nouvelle cible aux snipers qui adorent ajuster Bernard-Henri Lévy. Il faut dire que celui-ci leur donne parfois des raisons de le railler. Peshmerga subirait-il le sort du Jour et la Nuit ou de Bosna !, serait-il la risée de sombres critiques ?
Une heure trente-deux minutes après le générique, les doutes sont levés. Peshmerga est un film documentaire, audacieux, esthétiquement réussi, sincère, d’une grande valeur informative et peut-être historique. De juillet à décembre 2015, BHL a parcouru avec une équipe de cinéma les 1000 kilomètres de la ligne de front qui sépare le Kurdistan irakien des troupes de Daesh.
Première remarque : le paysage est d’une beauté à couper le souffle, sauvage, désertique, escarpé, rythmé par quelques cours d’eau et une végétation fragile. Ces vues incitent au recueillement et à la retraite. Las, à quelques centaines de mètres de là, les hommes s’entretuent. L’EI a voilé les femmes, violé les jeunes filles, instauré la charia, enrôlé les enfants, tué ses opposants, détruit les vestiges de l’Histoire, allumé des autodafés, foulé aux pieds la liberté. L’ordre ancien a disparu, les États voisins n’osent pas s’opposer aux islamistes et les Occidentaux regardent ailleurs. Seuls des guerriers kurdes se battent pour regagner leurs territoires et bouter hors de ses frontières l’ennemi religieux. Ils étaient professeurs, fonctionnaires, paysans, artisans, ils sont devenus généraux, chefs de guerre, ou simples soldats. Leurs visages ne sont pas barrés par les rictus de la haine ou de la revanche, leurs yeux restent ouverts sur leur unique objectif : reconquérir leurs villages, regagner leurs pénates.
Ils sont seuls et ne peuvent compter que sur leur bravoure
Bernard-Henri Lévy a partagé l’intimité de ces hommes de peu, armés de quelques lance-roquettes, et d’autant de mitraillettes, ou d’orgues de Staline. Parfois, un raid de la coalition internationale prépare le terrain et réduit une poche de résistance. Mais quand il s’agit d’investir les villages, de se battre au corps-à-corps, de cheminer sur des routes parsemées de mines, les Peshmergas (littéralement : ceux qui vont au-devant de la mort) sont seuls et ne peuvent compter que sur leur bravoure.
Cette guerre oubliée, qu’ils font sans l’aimer, est présente à chaque image. Un général aux cheveux blancs étonne par son courage et sa science du combat, mais tombe quelques minutes plus tard victime d’une balle en pleine tête. Plus loin, une petite phalange prépare l’assaut d’un groupe de maisons. Ce documentaire nous fait pénétrer dans les salles de commandement, sur les théâtres d’opérations, et à l’arrière du front où persistent des témoignages de la présence des yézidis, ces chrétiens pré-islamistes aux rites démonstratifs, ou de tribus juives installées elles aussi avant l’avènement de la religion musulmane, dont les restes sont autant d’insultes pour les hommes de Daech.
Peshmerga est un film qui montre sans se fixer l’ambition de démontrer coûte que coûte. Il explique, éclaire et finalement convainc. Il propose des images sur un conflit qui met en jeu notre civilisation et que nous laissons (provisoirement ?) reposer sur les frêles épaules de civils dépenaillés et mal armés qui luttent contre l’obscurantisme.
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