Monsieur le grand rabbin, messieurs les archevêques et métropolites, messieurs les présidents, monsieur le Premier ministre, monsieur l’ambassadeur de France, chers amis.
Je suis heureux, permettez-moi d’en dire un mot pour commencer, d’avoir l’occasion de rendre hommage au métropolite Andrey Sheptytsky sous le signe de qui vous avez placé votre soirée.
Le métropolite Andrey Sheptytsky, je ne vous apprends rien, fut le primat de l’Église uniate d’Ukraine pendant la Seconde Guerre mondiale et reste, à ce titre, une figure extrêmement controversée.
C’est l’un de ces Ukrainiens que leur nationalisme, ainsi que leur anticommunisme, ont égarés dans ces années terribles.
Et il y a, en particulier, cette lettre pastorale du 1er juillet 1941 que retiennent toujours les adversaires de sa mémoire quand ils veulent rappeler qu’il eut des indulgences pour l’Allemagne.
Mais, en même temps, c’est incontestablement l’une des rares voix à avoir osé s’élever, dans les mêmes années, contre la persécution et l’extermination des juifs.
Il a écrit à Hitler et à Himmler pour les adjurer d’épargner les juifs de Galicie.
Il a donné, en novembre 1942, une autre lettre pastorale, intitulée « Tu ne tueras point », où il interdit à ses ouailles, sous peine d’excommunication, de prêter le moindre concours au meurtre de masse qui commence de se dérouler sous leurs yeux.
Il a invité les moines et moniales de la région à cacher des juifs.
Il en a, lui-même, à Lviv, tant dans les caves de la cathédrale Saint-Georges qu’en face, dans ses propres appartements privés, caché et sauvé cent cinquante, en majorité des enfants, et aussi une dizaine de rabbins.
Il y a eu des polémiques disant qu’il avait tenté, ce faisant, de les convertir. Mais non. C’est inexact. Il les a cachés dans des églises, bien sûr. Il leur a donné de faux noms chrétiens et de faux certificats de baptême. Il lui est arrivé de les déguiser. Mais je ne crois pas qu’il y ait un cas d’enfant qu’il a sauvé et qui, après la guerre, s’est retrouvé chrétien. Et vous avez, d’ailleurs, une autre lettre pastorale que j’ai également lue avant de venir et où il met très clairement en garde contre la tentation de « profiter » de la situation pour, en effet, convertir.
Bref, le métropolite Andrey Sheptytsky fut un sauveur de juifs.
Nous avons des tas de témoignages, dont celui du rabbin David Kahane, qui disent qu’il a pris, pour cela, tous les risques, à commencer par le risque d’emprisonnement et de mort.
Et je ne parle même pas de ce que nous savons aujourd’hui, à travers les archives de la chancellerie du Vatican, de ses relations avec Pie XII et des messages qu’il lui adresse tout au long de la guerre et où il le supplie de prendre la mesure du caractère « diabolique » du nazisme.
Ce que Jan Karski fut à Roosevelt, le métropolite Andrey Sheptytsky le fut au pape Pie XII.
Et ce n’est pas un hasard si l’Anti-Defamation League lui a remis, l’an dernier, à titre posthume, sous l’impulsion d’Abraham Foxman, son prestigieux « Jan Karski Courage to Care Award ».
Je sais que, quand Yad Vashem a eu à examiner son cas et à se prononcer sur son élévation ou non au rang de « Juste parmi les nations », la réponse n’a pas été la même. Mais bon. La discussion n’est pas close. La commission de Yad Vashem a souvent eu à s’y reprendre à plusieurs fois et à juger en appel. Là, je ne désespère pas que ce soit le cas. Le dossier du métropolite Andrey Sheptytsky est plutôt moins compliqué que celui, par exemple, d’un Oskar Schindler. Et j’ai bien l’intention, si vous me le permettez, de faire modestement campagne pour que le métropolite Sheptytsky rejoigne, non seulement Schindler, mais les quelque deux mille Ukrainiens qui ont déjà été, dans les dernières années, sacrés « Justes parmi les nations ».
Je voudrais, deuxièmement, faire un grand bond dans le temps qui nous amène jusqu’aujourd’hui – et je voudrais rendre hommage au rôle des juifs d’Ukraine, individus et associations, dans la révolution du Maïdan.
Là non plus, cela n’allait pas forcément de soi.
Car il y a eu toute l’incroyable propagande qui a essayé, pendant ces semaines de révolte et de répression, de faire croire que les révolutionnaires du Maïdan étaient, dans leur majorité, des nazis ! Tantôt c’était l’ancien président Ianoukovitch qui, dans le temps même où il allait puiser dans le stock de l’antisémitisme le plus éculé en expliquant que c’est l’Internationale juive qui tirait les ficelles de l’insurrection, traitait le Maïdan de fasciste.
Tantôt c’était Vladimir Poutine en personne, oui, le même Vladimir Poutine qui s’apprêtait à réhabiliter, comme on vient de le voir ces jours derniers, le pacte germano-soviétique et qui venait nous raconter que c’est en face, c’est-à-dire ici, à Kiev, que grondait la contre-révolution bandériste et antisémite.
Et il est d’ailleurs exact – comment l’ignorer ? – qu’il y a ça dans la mémoire ukrainienne : un antisémitisme de masse et ancien ; une Shoah par balles dont le père français Desbois voue sa vie à retrouver les traces ; il est vrai, oui, qu’il y a ce monstrueux passif entre les juifs d’Ukraine et l’Ukraine.
Mais enfin le résultat, soixante-dix ans après, est là.
Sur cet espace de toutes les libertés que fut le Maïdan, sur ce théâtre où toutes les paroles, les plus sages comme les plus délirantes, avaient la possibilité de s’exprimer, il y a un délire que l’on n’a pas entendu et c’est le délire antisémite.
Les juifs l’ont bien compris qui – je peux en témoigner, car j’y étais – se sont massivement portés, avec leurs frères tatares, russes, cosaques, arméniens, ukrainiens en général, au-devant de l’insurrection citoyenne dont ce Maïdan fut l’agora.
Josef Zissels, qui est ici et que je salue, a eu des propos forts pendant ces journées.
L’ensemble des associations juives ukrainiennes – celles qui sont là ce soir et d’autres qui n’y sont pas – ont rédigé une lettre ouverte au président de la Fédération de Russie dont j’ai, le 6 mars 2014, publié la version française dans ma revue, La Règle du jeu, et où l’on adjurait « Vladimir Vladimirovitch » d’entendre que les juifs étaient assez grands pour « protéger » leurs « droits » et qu’ils avaient fait clairement le choix d’une « coopération avec le gouvernement et la société civile d’une Ukraine souveraine, démocratique et unie ».
Et le fait est que quelque chose de cette inguérissable blessure que fut la participation de la société civile ukrainienne à la Shoah a commencé de se refermer pendant ces journées.
Vous avez, dans les situations de ce genre, deux attitudes possibles, deux paradigmes.
D’un côté la « compétition des victimes » qui dit, en gros : « Il n’y a pas assez de place, dans un cœur, pour deux fidélités ; pas assez de place dans une âme pour deux mémoires ; et, entre les Ukrainiens massacrés par Staline et les juifs massacrés par Hitler et ses supplétifs ukrainiens, il faut choisir. »
De l’autre, la « solidarité des ébranlés » telle que l’a définie le grand philosophe tchèque Jan Patočka et qui désigne, au contraire, une sorte de fraternité spontanée des victimes dont les mémoires, loin de rivaliser, se renforcent : « C’est quand vous avez la Shoah au cœur que vous voyez le Goulag ; c’est quand vous avez l’oreille assez fine pour entendre la clameur antisémite que vous êtes également sensible au glapissement raciste ou génocidaire en général ; c’est parce que rien ne vous échappe du martyre du peuple juif que vous vous souvenez de celui de la nation ukrainienne – et inversement. »
Les juifs d’Ukraine ont pris le parti de Patočka.
Les juifs d’Ukraine ont joué, plus que jamais, la « solidarité des ébranlés ».
Les juifs d’Ukraine – c’est leur noblesse – ont choisi de se souvenir que les Ukrainiens étaient surreprésentés dans cette armée rouge qui a contribué à la chute du nazisme.
Ils ont choisi de ne pas oublier que le bataillon qui libéra Auschwitz s’appelait le « premier front ukrainien ».
Être juif en Ukraine, c’est accepter de penser ensemble l’Holodomor et Babi Yar.
Et cela aussi, je voulais le dire et le répéter ici.
Et puis je veux rendre hommage enfin à un juif en particulier, un juif d’Ukraine singulièrement : celui-là même que vous avez choisi d’honorer en lui remettant votre « Metropolitan Andrey Sheptytsky Medal of Honor Award » et qui est là, ce soir, face à moi.
Ce juif s’appelle Victor Pinchuk.
C’est la première fois que je le rencontre.
Mais nous avons nombre d’amis communs et, en les interrogeant ces jours derniers, je crois m’être fait une idée un peu plus précise de qui il est et des raisons qui vous font le fêter.
Victor Pinchuk est d’abord, bien sûr, un patriote ukrainien – c’est-à-dire, dans ma terminologie (et, je pense, sans le connaître, que c’est aussi la sienne), un Européen convaincu, un Européen conséquent, un militant sans états d’âme de l’intégration de son pays à l’Europe.
Victor Pinchuk est aussi ce que l’on appelle un oligarque – mais attention ! un oligarque d’un genre particulier ! un oligarque philanthrope ! un oligarque qui croit qu’il doit plus qu’on ne lui doit, qu’il a plus de devoirs qu’il n’a de droits ! un oligarque qui pense que son premier devoir est de rendre à l’Ukraine un peu de ce qu’elle lui a donné ! Je ne sais pas si Viktor Pinchuk a officiellement rejoint, ou non, le « Giving Pledge » qui est ce mouvement lancé, depuis les États-Unis, par Warren Buffet, Bill Gates, Richard Branson, Nicolas Berggruen, d’autres, et qui invite les milliardaires de la planète à donner la moitié de leur fortune à des œuvres philanthropiques. Mais, d’après ce que je sais, il se situe clairement dans leur lignée. Et il est d’ailleurs, avec le président Porochenko, l’un des rares milliardaires ukrainiens à être restés, me semble-t-il, à Kiev au moment du Maïdan et à y avoir organisé, en pleine révolution, à quelques centaines de mètres du champ de bataille, une grande exposition honorant un artiste qu’il défend, que je défends aussi et qui s’appelle Jan Fabre.
Mais ce qui m’intéresse, ce soir, ce qui vous intéresse aussi puisque c’est à ce titre que vous avez choisi de lui rendre hommage, c’est qu’il est surtout un grand juif.
Qu’est-ce que c’est, un grand juif ?
Le mot peut étonner mais je crois, vraiment, qu’il y a des grands et des moins grands juifs et je crois que ce qui fait le « grand juif », ce sont trois traits qui, tous trois, se retrouvent en Victor Pinchuk.
C’est d’abord cet « Ahavat Israël », cet « amour du peuple juif », juste cet « amour », ou cette « amitié », ou cette « bienveillance », dont Gershom Scholem regrettait, dans une polémique célèbre, qu’ils fissent si tragiquement défaut, au moment du procès Eichmann, à sa collègue Hannah Arendt : nombreux sont les juifs qui, parvenus au faîte de la puissance, de la gloire ou de la reconnaissance dans le monde de la gentilité tournent le dos à cet « Ahavat Israël », l’oublient – je ne crois pas que ce soit le cas de Victor Pinchuk.
C’est ensuite le rapport à la mémoire et, en particulier, à la mémoire souffrante, douloureuse, de la persécution : Viktor Pinchuk, là aussi, se distingue de tant de juifs amnésiques ou, de nouveau, oublieux que nous voyons autour de nous – ne fut-il pas le partenaire de Steven Spielberg pour la production de Spell Your Name, le seul film réalisé, à ce jour, sur le massacre de Babi Yar ? et, presque plus important encore, n’est-il pas l’un des sponsors de Yahad-In Unum, la fondation créée par Patrick Desbois pour retrouver, déterrer, bref nommer et célébrer les morts sans nom et sans nombre de la Shoah par balles ?
Et puis je crois enfin qu’un grand juif c’est un juif d’affirmation. Il y a les juifs de négation qui vivent leur judaïsme dans le secret ou dans la honte. Il y a tous ces juifs « sartriens » qui pensent, comme Jean-Paul Sartre, que le judaïsme n’est rien qu’un effet de regard des antisémites ou qui, comme Heine dans un mot resté tristement célèbre, s’exclament : « Le judaïsme ? je ne le souhaite pas à mon pire ennemi ; injures et douleurs voilà tout ce qu’il rapporte. » Eh bien Victor Pinchuk pense le contraire. Il vit son judaïsme, sinon dans la gloire, du moins dans la positivité d’une franche et claire affirmation. Il aide les œuvres juives d’Ukraine. Il restaure les lieux de culte d’Ukraine. Et, quand il invite ses amis Tony Blair ou Chelsea Clinton à visiter son pays, où les emmène-t-il ? À la synagogue de Dnipropetrovsk pour l’un. Dans une synagogue de Kiev pour l’autre. J’aime cela. J’aime cette assomption sereine, souveraine, par un juif, de son judaïsme. Car cela aussi est d’un grand juif. C’est, très précisément, le propre de ce que j’appelle un juif d’affirmation.
Un mot encore.
Je suis français.
Et je sais que la plupart de ceux qui sont ici ne peuvent, en écoutant un Français parler de l’Ukraine, s’empêcher d’avoir à l’esprit l’affaire qui, en ce moment même, empoisonne les relations entre nos deux pays et qui est l’affaire des porte-hélicoptères Mistral.
Eh bien ne me posez pas la question car je vous apporte la réponse.
Je suis, vous le savez peut-être, de ceux qui font campagne, en France, pour que ces porte-hélicoptères ne soient pas livrés.
Mais ce que vous ne savez sans doute pas c’est qu’il y a beaucoup de Français, probablement une majorité, qui ont la même opinion que moi et trouvent que livrer des navires de guerre à la Russie alors même qu’elle livre aux Ukrainiens une guerre où la diplomatie française a clairement choisi son camp serait, au mieux, inconséquent et, au pire, scandaleux.
Et ce que vous ne savez pas non plus c’est qu’au nombre de ces nombreux Français il y a le président de la République en personne, François Hollande, qui est en Australie mais avec qui j’ai eu, sachant que vous risquiez de m’en parler, un contact ce matin et qui m’a explicitement dit, en m’autorisant à vous le rapporter, que la France tenait bon (ce sont ses mots : « tenir bon ») et que les marins russes qui sont, depuis quelques semaines, dans le port français où mouille le premier de ces Mistral et qui doivent, en principe, aux termes du contrat, se familiariser avec lui et en prendre possession, se voient, depuis hier, lundi, interdits d’accès à bord.
Il y a une polémique, en France, à ce sujet.
Le président français a des opposants qui le pressent d’« honorer la signature de la France ».
Mais je pense qu’il ne cédera pas.
Je suppose qu’il réfléchit, en ce moment même, aux diverses options qui s’offrent à lui et qui lui permettraient de sortir de cette situation moralement et stratégiquement intenable sans pénaliser les ouvriers des chantiers navals français.
Il y a la solution « canadienne » qu’a proposée notre ami Berel Rodal, ici présent.
Il y a la solution que j’ai proposée et qui serait de vendre le navire à l’Ukraine moyennant un prêt de longue durée et à intérêt privilégié que lui consentirait l’Union européenne.
Il y a l’idée du vice-chancelier allemand Sigmar Gabriel qui serait de le vendre à l’Union européenne elle-même : ne serait-ce pas le meilleur moyen de voir prendre forme, pour la première fois, cette fameuse défense commune dont on parle depuis si longtemps mais qui est, pour l’instant, lettre morte ?
Il y aurait même une formule – j’y pense à l’instant – où l’on verrait les « oligarques » ukrainiens se cotiser pour l’acheter : c’est un beau bateau, vous savez ! et le prix, un milliard, n’étant, à leur échelle, pas si faramineux que ça, il n’est pas exclu qu’ils fassent une bonne affaire !
Mais la seule hypothèse qui me semble exclue c’est que la France livre ce Mistral, comme ça, comme si de rien n’était, à un Poutine qui serait bien capable de l’acheminer aussi sec en face de Marioupol ou Odessa !
Je tenais à vous le dire.
Un autre mot, encore.
Je sais aussi que cet hommage au métropolite Andrey Sheptytsky, à Viktor Pinchuk et aux juifs d’Ukraine en général, je le prononce en un moment très particulier, et très particulièrement dramatique, de l’histoire de votre pays.
Et je n’ignore pas, personne ne peut ignorer, qu’à l’heure où je vous parle, des milliers de soldats russes sont à la manœuvre dans le Donbass – et je n’ignore pas non plus que, venus en soutien des chiens de guerre de Donetsk et de Lougansk, ou des mercenaires cosaques ou tchétchènes qui se trouvaient déjà là, ils sont en train de faire de cette région de l’Ukraine une sorte de petite Sparte où l’on ne respecte que la force, où l’on ne prône que la violence et où il n’est pas jusqu’à la rhétorique de la « défense des russophones opprimés » qui a cédé la place à un discours nettement plus offensif : je lisais tout à l’heure un article de notre ami Adrian Karatnycky rapportant une déclaration du leader de la République populaire de Donetsk, Aleksandr Zakhartchenko – « Mon armée, dit en substance ce bandit, est désormais en position, non seulement de se défendre, mais d’attaquer »…
Face à cela, face à ce changement de discours et, peut-être, d’échelle, je sais que les mots et les belles déclarations ne suffisent plus.
Face à ce qu’il faut bien appeler un nouvel état d’urgence et de péril extrême, je sais que votre pays a besoin d’un soutien beaucoup plus actif que les bonnes paroles diplomatiques.
Mais je tiens à vous dire que nous sommes très nombreux, là aussi, à être de cet avis et que je ne désespère pas que nous soyons, très vite, une vraie majorité à comprendre que c’est ici, à Kiev, que l’Europe joue sa survie et qu’il faut absolument vous aider, donc, à mener et gagner cette bataille.
Vous savez, je suppose, que deux courageux sénateurs américains ont passé, en Commission, un Ukrainian Freedom Support Act qui, s’il est finalement voté, permettra la livraison à l’Ukraine des systèmes de communication cryptée, des drones, des batteries anti-tanks et antiaériennes, voire des armes de précision qui font si cruellement défaut à son armée.
Eh bien, voyez-vous, j’étais aux États-Unis toutes ces dernières semaines et mon petit doigt me dit que cette loi sera votée dès janvier ou février prochain.
Mon petit doigt me dit aussi qu’il y aura d’autres pays, à commencer par le mien, qui suivront le mouvement et qui, peut-être, qui sait ? le précéderont.
Et j’ai la conviction que vous êtes, là aussi, moins seuls qu’on ne le dit, que M. Poutine ne le croit et que vous ne le pensez probablement vous-mêmes.
En tout cas, je m’y emploie. Modestement, avec mes moyens limités, mais je m’y emploie. Ne serait-ce que tout à l’heure, avant de vous retrouver, j’ai rencontré des responsables de la défense nationale de l’Ukraine qui m’ont expliqué la nature de leurs besoins – et j’ai bien l’intention, une fois rentré, de me faire l’écho de ces besoins.
Et puis encore un dernier, tout dernier mot.
J’ai évoqué, en commençant, la campagne de propagande venue du Kremlin et qui essaie, depuis presque un an, de nous présenter le Maïdan comme un repaire d’antisémites contre lesquels il conviendrait de ressortir l’artillerie lourde des campagnes antifascistes d’autrefois.
Or ce qui me navre c’est que beaucoup de juifs russes semblent être tombés dans le piège et avoir avalé le bobard.
Ce qui, non seulement me navre, mais me met en colère c’est que Poutine ait osé embrigader les juifs de Moscou dans cette campagne fratricide et insensée.
On ne fait pas cela.
On ne joue pas avec ces mots ni avec cette mémoire. On ne recrée pas la guerre des juifs pour servir des intérêts politiciens médiocres et à court terme.
Et je crois qu’à cela aussi, à cette instrumentalisation indécente et odieuse, il faut trouver le moyen de s’opposer.
Les juifs russes qui, comme le grand rabbin Berel Lazar, tressent des couronnes à Poutine sont-ils les nouveaux idiots utiles du Kremlin ? Sont-ils désinformés ? otages ? Ont-ils un pistolet sur la tempe ou croient-ils, vraiment, à ce qu’ils disent ? En tout cas, c’est intolérable. Cette situation, personnellement, me brise le cœur. Et je voudrais, ne serait-ce que pour en avoir le cœur net, vous présenter une suggestion.
Organisons une rencontre unitaire des juifs d’Ukraine et de Russie.
Posons, lors de cette rencontre, tous les problèmes sur la table.
Levons, s’il y en a, les principaux malentendus que la propagande a créés.
Et réparons, s’il est brisé, ce lien de vie entre juifs dont Flavius Josèphe, l’auteur de la Guerre des juifs, disait qu’il ne fallait jamais laisser les tyrans y toucher et le corrompre.
Je vous dis cela du fond de mon amour pour le judaïsme d’Ukraine qui a tant souffert et qui relève la tête.
Je vous le dis avec tout le respect que je dois à ce judaïsme russe qui sort, lui aussi, d’une interminable nuit et qu’il serait si triste de voir retomber sous la coupe d’un Vladimir Poutine – ah, Sharansky ! Yossef Begun, Ida Nudel, Jossef Mendelevitch et Alexandre Lerner, Vladimir Brailowski ! tous ces noms pour lesquels je me suis, avec d’autres Français, tant battu dans ma jeunesse ! tous ces refuzniks, ces refusés de visa qui étaient aussi des hommes du grand refus, des hommes de fer et de résistance, des modèles d’insoumission et de courage !
Tous ces indomptés, il est insupportable, oui, de voir un minable officier du FSB leur faire à nouveau plier l’échine !
À ceux d’entre eux qui ne sont plus de ce monde, nous devons de sauver leurs enfants et leurs héritiers du piège qui se ferme, à nouveau, sur eux.
C’est pour eux, pour eux tous, les morts et les vivants, que j’appelle ici de mes vœux ce grand rassemblement des juifs libres des deux pays, l’Ukraine et la Russie.
Il pourra, ce rassemblement, se tenir à Jérusalem, à Paris ou ailleurs.
Il pourrait se faire à l’initiative de M. le Grand Rabbin de Kiev et d’Ukraine, Yaakov Dov Bleich, ici présent.
M. Viktor Pinchuk pourrait en être, dans le droit fil de ce judaïsme d’affirmation et de combat que j’ai décrit, le facilitateur et même l’artisan.
Je ne suis sûr que d’une chose : le fait que cela ait lieu représenterait, à soi seul, une défaite pour Poutine et une victoire, à Moscou comme à Kiev, pour les valeurs de vérité et de liberté.
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