Je vais sans doute choquer. Peut-être même scandaliser. Mais je dois dire que la défaite militaire de l’O.L.P. m’a, dans l’ensemble, plutôt réjoui. Que tous ceux qui, en France et ailleurs, ont voulu jusqu’au dernier moment la sauver « politiquement » se sont, à mes yeux, disqualifiés. Et que je ne comprends pas très bien, surtout, en vertu de quel étrange et pervers malentendu on s’obstine, ce matin encore, à présenter comme des héros, des victimes, des martyrs même, les combattants qui, depuis trois jours, commencent d’évacuer Beyrouth.

Je pense, en disant cela, au peuple d’Israël d’abord, que tous ses « amis », de par le monde, devraient se féliciter de voir débarrassé, enfin, d’une organisation qui, à l’instant du départ encore, lançait à la cantonade que « tous les chemins mènent à Jérusalem ».

Je songe au malheureux Liban aussi, le véritable oublié du drame, qu’une armée d’occupation ne cessait, depuis des années, de piller. De bombarder. De dévaster. En organisant même, çà et là, du côté de Damour et d’ailleurs, d’authentiques petits Oradour.

Au-delà même du Liban, d’Israël, du Proche-Orient, je trouve un peu curieux que l’on verse tant de larmes sur le sort d’un appareil dont les principaux titres de gloire étaient tout de même, à ce jour, le massacre des athlètes de Munich. Des centaines de meurtres civils dispersés sur les cinq continents. Une quarantaine de détournements d’avion commis depuis dix ans. Et qui, d’Anvers à Copernic ou à l’action des Brigades rouges, s’était trouvé régulièrement impliqué dans la plupart des grosses affaires de terrorisme international.

Mieux, et plus généralement encore, il me semble que des hommes qui ont approuvé en son temps la normalisation tchèque ; qui ont applaudi, depuis, au coup d’Etat de Jaruzelski en Pologne ; qui saluèrent, en Afghanistan, pays musulman s’il en est, l’intervention des troupes et des blindés soviétiques ; qui partout, toujours, sur tous les fronts les plus brûlants de la géopolitique contemporaine, n’ont cessé de se mettre à la botte de la politique du Kremlin ; que ces hommes-là, donc, peuvent difficilement passer, quoi qu’on en dise, pour de pures et pauvres victimes ; mais qu’ils appartiennent plutôt, de plein droit et littéralement, à ce qu’il faut bien nommer l’internationale des bourreaux.

Et j’affirme surtout, enfin, que leur débâcle, leur faillite, l’humiliation de leurs chefs et le discrédit de leur ligne ne peuvent être qu’une bénédiction, à terme, pour l’autre partie du conflit. Celle-là même qu’en leur arrogance ils entendaient représenter. Ce pauvre peuple d’ombres, et de déracinés, dont ils confisquaient la cause. En un mot, que je pèse : le peuple palestinien lui- même.

*

Car l’essentiel est là.

Je crois qu’il est plus que temps, en effet, de reconnaître la part prise par une organisation dite « de libération de la Palestine » dans le désastre d’aujourd’hui.

J’affirme qu’en s’entêtant, depuis l’année de sa création, dans la même folle attitude de négation, de dénégation, de déni d’Israël et du réel, elle faisait peut- être le jeu de Moscou, certainement pas celui d’Hébron, de Naplouse, de Jéricho.

Je dis, je redis que Yasser Arafat, l’homme au sourire béat, errant dans les débris de son bunker, en ânonnant son débile « parfum de paradis » et en se faisant rempart, chemin faisant, du corps des populations promises au sacrifice, mérite de prendre rang, lui aussi, dans la cohorte, si longue déjà, des massacreurs de Palestiniens.

Récemment encore, quand il prétendit « reconnaître » l’Etat hébreu en apposant son paraphe sur un pauvre chiffon de papier tendu par un parlementaire américain, il n’est pas impossible qu’il ait commis l’erreur fatale de sa carrière. Celle qui ne pouvait que porter à son comble l’exaspération d’une nation riche de quelques millénaires d’histoire. Celle qui venait couronner, et presque précipiter dix-huit ans de haine, de mépris, de pur et simple aveuglement politique et historique.

Cette erreur, l’a-t-il commise de son chef ou y a-t-il été poussé par tous ceux qui, au loin, l’incitaient à la ruse ? Le félicitaient, comme Brejnev, pour son héroïque courage ? Le confortaient, comme les diplomates français, dans l’illusion d’une marge de manœuvre qu’il n’avait plus depuis longtemps ? Lui serinaient, comme nos intellectuels, que l’Etat juif n’était qu’une tête de pont de l’Amérique, à la solde de l’impérialisme, et donc de l’obscur sénateur McKloskey ? Ou lui conseillaient même, comme Kadhafi, qui, lui au moins, allait droit au but, de prendre purement, simplement, le parti de se suicider ?

La responsabilité, j’en ai bien peur, aura été largement partagée. C’est tous ensemble qu’ils auront peu à peu, et cyniquement, creusé l’impasse. C’est à eux tous, aussi bien, qu’il reviendra, après-demain, de rendre compte aux masses, aux générations de simples gens ainsi menées à l’échec. En ce sens, c’est peut-être moins au peuple juif qu’il faudra, comme disait Begin, demander un jour pardon qu’à ce peuple palestinien ouvertement — et méthodiquement — trahi par les parrains qui, de loin, prétendaient porter ses couleurs.

*

A moins… Oui, à moins que le temps, comme il arrive parfois, ne réserve à ce peuple trahi l’une de ces ruses inopinées dont il a parfois la manière.

Car il n’est pas tout à fait impensable non plus que les effroyables tueries de ces dernières semaines n’aient pour ultime effet d’éveiller à Gaza, en Judée, en Samarie, les foules d’hommes et de femmes qui, depuis des lustres et des lustres, tenaient un discours différent.

Je sais qu’il y a là, sous occupation israélienne bien sûr, mais au contact, du coup, du seul Etat démocratique de la région, d’innombrables militants qui ont fini par comprendre, eux, que leur rêve ne prendra corps qu’au jour où il s’arrachera, pour de bon, au cauchemar totalitaire de ses dirigeants actuels.

J’y pressens, j’y connais des nationalistes authentiques, aussi exigeants et incorruptibles que possible, qui piaffaient eux aussi sous le joug arafatien ; qui attendaient comme un bienfait le moment de sa levée ; qui, infiniment las de tant de mystifications sont prêts à reconnaître, de fait et dans le réel, l’existence du partenaire israélien ; et qui savent, pour cela, que le ciel est plus haut déjà, l’horizon plus dégagé — et le théâtre vide, enfin, où il leur incombe, s’ils le veulent, de jouer à leurs frais le dernier acte de la nuit.

Ces hommes et ces femmes, je proposerais volontiers, avec Clara Halter, de les appeler « les Palestiniens du silence  » s’ils n’étaient en train, justement, de rompre ce silence ; d’assumer pour leur propre compte l’honneur de leur propre voix ; d’amplifier un murmure jusque-là interdit et, lui aussi terrorisé ; et de nous convier, nous, ici, intellectuels français « progressistes » et « de gauche », à entendre, à relayer, à appuyer une parole qui, pour la première fois, du coup, pourrait donner sa chance à leur protestation.

Le ferons-nous ? Entendrons-nous l’appel ? Ou faudra-t-il que nous persévérions, au contraire, dans les illusions d’antan ? Que nous nous accrochions vaille que vaille au dilemme de Sharon ou d’Arafat ? Que nous remâchions nos vieux sophismes sur l’impossibilité des « troisièmes voies » ? Et que nous écoutions, longtemps encore, la hideuse clameur de ceux qui vont partout pérorant que la noble et sainte Histoire n’offre pas d’autre alternative que le sauvetage de l’O.L.P. ?

Je suis personnellement de ceux qui n’ont jamais cru qu’il fût de leur devoir de clerc de s’inscrire servilement dans les alternatives qu’offre, dit-on, l’Histoire. Et c’est pourquoi je parie, de tout mon cœur et de toute mon âme, sur un mouvement ressuscité qui, émergeant des ruines et de l’amertume du temps présent, saura rendre honneur, dignité à ce que je ne craindrai plus, alors, pour ma part, d’appeler la nation palestinienne.


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