Transformer Saddam Hussein, ce tyran, en nouveau Saladin, héros de la cause et de la revanche arabes.
Faire de ce petit Staline, de ce bourreau des Kurdes et des chiites, de l’homme qui a envoyé au carnage, dans la seule guerre avec l’Iran, 500 000 jeunes Irakiens, un patriote, un résistant.
Unir ce qu’il faudrait diviser, rassembler ce que de la bonne politique aurait dû achever de scinder : l’Irak et l’Iran justement, l’Irak et la Syrie.
Faire que, dans tout le monde arabo-musulman, les forces de la haine prennent le dessus et qu’un vent de folie – celui du nationalisme arabe ou, pis, de la fureur islamiste – balaie, à nouveau, les quelques-uns qui tentaient de faire avancer la cause de l’islam modéré.
Relancer, en Occident comme en Islam, le thème terrible de la guerre des civilisations.
Donner, au passage, à Vladimir Poutine son dernier brevet de démocrate et, au lieu de dire « stop à la guerre en Tchétchénie », au lieu, comme les États-Unis en avaient alors le pouvoir, de faire pression sur la Russie pour qu’elle arrête un massacre qui est aussi l’une des principales sources du terrorisme islamiste, dresser cette scène politique absurde où l’on assiste au plus formidable tour de passe-passe vu depuis longtemps : des millions de gens descendant dans la rue pour stigmatiser une guerre qui a fait quelques centaines de morts – pas un, dans aucune manifestation au monde, pour avoir un mot de protestation contre cette autre guerre qui dure, elle, depuis dix ans et a fait des centaines de milliers de victimes.
Ici même, en France, voir se lever le vent mauvais d’un pacifisme qui charrie ce qu’il y a de pire : l’antisémitisme, bien sûr ; mais aussi un antiaméricanisme rabique et primaire ; mais aussi ces banderoles infâmes où l’on voit Bush, quand ce n’est pas « Bush et Sharon », ou même « Busharon », stigmatisés à l’égal de Saddam Hussein ou de Hitler.
Et je ne parle pas des morts et des dévastations, je ne parle pas des premières victimes civiles d’une guerre dont des irresponsables nous disaient que, grâce à ses bombes « propres » et « intelligentes », elle saurait « épargner les civils » – je ne parle pas des 33 morts de Hindiya ce mardi ou de Nadjaf, à 150 kilomètres de Bagdad, où une colonne de jeunes GI à qui l’on avait dit qu’ils seraient reçus avec des fleurs perd les pédales et fait un carnage.
Voilà, après quinze jours, le premier bilan de cette guerre imbécile, improvisée, dont les buts changent au gré des humeurs, des circonstances, voire des sondages, et que seule la frivolité du temps a pu comparer à ces authentiques guerres de libération, adossées à d’authentiques forces de résistance type Alliance du Nord ou armée bosniaque, que furent les guerres d’Afghanistan et de Bosnie.
Voilà le champ de ruines que laisse, d’ores et déjà, la bande d’ignorants péremptoires qui règnent dans les magasins à idées dont la Maison-Blanche est devenue le terrain de jeu – ignorants de l’Histoire, ignorants de la réalité des guerres et de celle des religions, ignorants de la façon, aussi, dont réagissent les peuples matraqués par trente années de propagande, de misère, de terreur.
Voilà, même s’il est évidemment trop tôt pour conclure et s’il n’est pas question de parler d’« enlisement » et de « Vietnam » pour un conflit qui dure depuis quinze jours, voilà, même si la guerre s’arrêtait demain, le beau travail de ces Docteurs Folamour désinvoltes et incompétents qui, tout à leur ivresse technologique et morale, tout à leur idée messianique d’une démocratie parachutée avec les chewing-gums, les cigarettes et les rations d’aide humanitaire, ont choisi de ne pas entendre les avertissements de ceux de leurs alliés qui leur disaient : « attention ; l’histoire des peuples est tragique ; elle n’obéit pas toujours aux belles constructions idéologiques des experts en liberté ; gare à ces grains de sable que sont les passions des hommes, leur folie, leur incompréhensible désir de servitude ou, simplement, leur patriotisme ».
Et que l’on ne vienne pas nous dire que tout cela était couru et que l’opération « Choc et effroi » n’a fait que porter dans la lumière des évolutions souterraines déjà en cours – que l’on ne vienne pas objecter que ce n’est pas la faute de Donald Rumsfeld si l’Europe a des pacifistes analphabètes, dénués d’esprit critique, et qui croient, de bonne foi, que Bush est un criminel pire que Saddam : car c’est avec cela aussi qu’un grand pays fait de la grande politique ; ne pas le faire, préférer dire, comme les faucons de Washington : « voilà ; tant pis pour eux ; chacun, désormais, se trouve en face de ses choix ; la guerre d’Irak, c’est le moment de vérité où chacun révèle son vrai visage caché », cela s’appelle la politique du pire, et la première puissance mondiale, le pays qui a libéré l’Europe du nazisme et tenu tête au soviétisme n’est pas là pour faire la politique du pire.
Ne reste, dans ce champ de ruines, et maintenant que le mal est fait, qu’à souhaiter, la rage au cœur, à contre-cœur, sans illusions, que nos alliés angloaméricains gagnent cette guerre – et vite.
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