Zelensky l’a dit à Joe Biden.

Les Ukrainiens, s’il le fallait et si venait à faire défaut le soutien militaire occidental, continueraient de se battre.

Ils le feraient seuls, le dos au mur et à un coût humain terrifiant. Mais ils se retrouveraient, au fond, dans la situation qu’ils ont connue dans les premiers mois de la guerre : Biden n’a-t-il pas attendu son voyage en Pologne du 26 mars 2022 pour amorcer son virage pro-ukrainien ? puis n’a-t-il pas fallu patienter quatre mois de plus, jusqu’à l’été, pour que la machine de guerre américaine passe en mode opérationnel et livre ses premiers armements défensifs ? puis encore un an, donc septembre 2023, pour qu’arrivent les chars Abrams ? et le courage des Ukrainiens, allié à l’ingéniosité de commandants brillants, n’a-t-il pas suffi, pendant ces longs mois, à tenir en respect une armée russe dont les troupes étaient alors fraîches, motivées, sûres d’elles-mêmes ?

Bref, le scénario catastrophe se réaliserait-il, le Congrès persisterait-il dans son refus de voter les crédits demandés par la Maison-Blanche et en irait-il de même en Europe du fait du sabotage hongrois, que l’on reviendrait à la case départ : l’armée ukrainienne que j’ai observée et filmée pendant presque deux ans passerait en mode guérilla, guerre de résistance, guerre de longue durée – mais ne rendrait, j’en suis convaincu, pas les armes. 

La vraie question, dès lors, est la suivante.

Cette guerre qui durera de toute façon, voulons-nous la prolonger ou l’abréger ?

Laisser se multiplier les morts militaires et civiles ou, au contraire, les épargner ?

Les États-Unis vont-ils, pour des raisons bassement électorales, laisser pourrir une situation qui donnera des ailes, dans toute l’Europe, aux forces populistes ou décideront-ils de venir renforcer, en Ukraine, des alliés naturels et durables ?

Mieux, quel message décidera-t-on d’adresser à la Chine impériale ? à la Turquie néo-ottomane ? aux puissances sunnites nostalgiques d’un empire qu’elles verraient bien renaître, déjà, au bord du Jourdain ? ou encore à l’Iran en train de se rapprocher à grande vitesse du seuil du nucléaire ? va-t-on leur dire : « bon appétit, messieurs ; nous nous résignons à l’avènement d’un monde multipolaire c’est-à-dire, pour parler clair, à une planète où des dictatures d’airain feraient à nouveau la loi » ? ou bien : « nous avons trahi nos alliés à Kaboul, à Alep, à Erbil, à Erevan ; mais rien n’est jamais fatal en Histoire et nous avons décidé de nous ressaisir à Kyiv » ?

Si tel est le cas, si les républicains veulent renouer avec l’esprit de Ronald Reagan et les démocrates rester fidèles à celui de John Fitzgerald Kennedy, si l’Europe décide, non de ressusciter je ne sais quel empire, mais de dire aux peuples du monde qu’ils ont raison de se révolter et de rêver d’un régime démocratique et libéral, alors il faut armer l’Ukraine, et vite. 

Il faut livrer à Zaporijia les missiles de croisière Storm Shadow qui, seuls, permettront aux hommes de la 47e brigade – qui se sont déjà emparés, l’été dernier, au terme d’opérations commando d’une folle audace, du village de Robotyne – de pousser, plus au sud, au-delà de la ligne Sourovikine, vers Verbove, Tokmak, Berdiansk et la mer d’Azov.

Il faut que les dronistes ukrainiens, qui ont maintes fois fait la preuve, depuis les premiers jours de la guerre et la destruction, dès avril 2022, du navire amiral russe Moskva, qu’aucun dépôt de munitions, aucune base navale et même aucun navire n’est, en Crimée, hors de leur portée, reçoivent les missiles ATACMS promis depuis septembre et qui achèveront de faire de la mer Noire une mer libre et ouverte aux navires alimentant en denrées vitales toute une part de la planète.

Il faut qu’arrivent à proximité du Donbass les F16 annoncés depuis si longtemps et seuls capables, en coordination avec les unités d’artillerie et d’infanterie déjà à pied d’œuvre, de libérer la zone de Bakhmout, celle d’Avdiivka et les routes de Donetsk et de Louhansk.

Il faut que la zone de Kherson, au sud, libérée voici un an par les seules forces ukrainiennes, reçoive les moyens de franchissement, le matériel amphibie et les chars légers Bradley qui permettront aux commandos du général Kovaltchouk de multiplier les opérations que je les ai vus mener, mais à trop petite échelle, de l’autre côté du Dniepr, vers les villages de Krynky et de Korsunka, où ils ont déjà une tête de pont.

Et il faut, enfin, remplacer par un dôme de fer digne de ce nom les unités mobiles de défense anti-aérienne que j’ai accompagnées et où l’on prend des risques insensés pour, à bord de pick-up de fortune, courser et shooter au bazooka les drones en vol vers les grandes villes. 

Toutes ces armes sont disponibles, pour la plupart, dans les stocks américains et européens.

Elles ont un coût, évidemment – mais bien inférieur à ce qu’il serait si, l’Ukraine défaite, la Russie s’enhardissait, s’en prenait à un pays de l’Otan et nous forçait à intervenir pour de bon.

Et puis deux précisions, pour terminer.

Nos budgets de défense sont moitié moindres, aujourd’hui, de ce qu’ils étaient du temps de la guerre froide et redeviendraient inévitablement si nous laissions la Russie pavoiser.

Et si nous payons le respect de la loi internationale en dollars, les Ukrainiens, eux, le paient avec leur sang.


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