Londres.

Participation, en pleine campagne sur le Brexit, à un débat public sur le bilan des années Obama.

Je réitère les réserves qu’il m’est arrivé de formuler, ici et ailleurs, sur une politique extérieure qui a fait la part trop belle à Bachar el-Assad, à Poutine, aux ennemis de l’Amérique en général. Mais en même temps…

Est-ce le fait d’avoir à prendre, cette fois, une vue d’ensemble sur toute la période ?

Est-ce l’effet des ajustements et remords ultimes d’un président visiblement soucieux de la trace qu’il laissera ?

Ou ai-je, simplement, pris claire conscience du climat de violence délétère avec lequel le 44e président des États-Unis aura eu à composer ?

Toujours est-il que je vois cinq raisons au moins de trouver ce bilan, tout compte fait, plutôt positif.

1. La crise de 2008, la plus grave qu’ait jamais connue l’Amérique depuis la Grande Dépression des années 1930. Barack Obama y a répondu par un plan de relance colossal (800 milliards de dollars injectés dans une économie au bord de la faillite) ; par des gestes politiques inédits car étrangers à la culture politique du pays (la nationalisation de fait de General Motors) ; ainsi que par un commencement de moralisation de Wall Street (le Dodd-Frank Act de 2010 qui, pour la première fois, révoquait en doute le dogme de l’infaillibilité des marchés financiers). Pouvait-il faire beau- coup plus ?

2. Les engagements qu’il avait pris quant aux questions de société les plus sensibles et qu’il a, pour nombre d’entre eux, malgré l’opposition du Congrès, du Sénat et de la plupart des États, fini par honorer. Ainsi du mariage homosexuel reconnu, désormais, sur la quasi-totalité du territoire. Ainsi de ces millions de parias qu’étaient les filles et fils de migrants illégaux et dont il aura, malgré l’échec du Dream Act, amorcé l’intégration. Et ainsi de la très grande pauvreté dont sa réforme du système de santé aura, qu’on le veuille ou non, réparé quelques-uns des effets les plus meurtriers. Obama terminera ce second mandat sans avoir ni fermé Guantanamo ni interdit la vente libre d’armes de guerre. Mais il pourra s’enorgueillir de ces incontestables extensions du domaine des sans-droits et de leur lutte.

3. La question dite raciale. Cette plaie ouverte au flanc de la société qu’est la discrimination des Afro-Américains et à laquelle son élection même était une première réponse. Dira-t-on qu’il a paru, sitôt élu, vouloir faire profil bas sur le sujet ? Ce n’est pas faux. Mais il y est revenu, dans les derniers mois, après les tragédies de Baltimore et Ferguson. Il a fait sien – et, venant d’un président des États-Unis, ce n’est évidemment pas rien… – le fier « Black Lives Matter » des mouvements nouveaux en faveur de l’égalité. Et quant à ceux qui insinuent qu’il aurait, par sa personnalité, attisé les conflits qu’il devait apaiser, qu’ils s’avisent de ce seul fait qui vaut tous les démentis : c’est sous son règne qu’auront commencé de vraiment refluer les radicaux, les violents, les racistes à l’envers de Nation of Islam…

4. Son style. Cela n’a l’air de rien, un style. Sauf que, de La Boétie à Kantorowicz en passant par Machiavel et Rousseau, tous les théoriciens de la chose politique l’ont dit : un pacte social s’incarne toujours, à la fin des fins, dans un nom, ce nom dans un corps et ce corps dans un mélange instable de présence, de distance et d’allure qu’il faut bien appeler un style. Or j’observe Donald Trump et sa déshonorante vulgarité. Je revois le bilan de la plupart des présidents minés, en fin de mandat, par un impeachment, un scandale, une guerre où l’on s’est enlisé et qui vous paralyse. Et force est de constater, à l’opposé, que la probité d’Obama, son élégance, sa tenue, le sans faute de ses derniers mois ainsi que la façon dont il aura su opposer au sectarisme de ses adversaires la vertueuse habileté d’un art politique sans pareille auront donné à l’Amérique une belle image de soi et au reste du monde une belle image de l’Amérique.

5. Quant à sa politique étrangère, enfin, c’est incontestablement le domaine où la déception aura été la plus vive. Mais c’est aussi celui où se sont opérés les plus significatifs de ces ajustements ultimes dont je parlais en commençant. Le discours de Londres sur le Brexit n’est-il pas venu corriger, en partie, la fâcheuse impression donnée, jusque-là, par un président qui semblait tourner le dos à l’Europe ? L’accord sur le climat, avec la Chine, de novembre 2014 n’a-t-il pas un peu adouci ce que pouvait avoir de brutal le condominium de fait entre les deux super-gagnants de la mondialisation ? Et l’accélération de la bataille de Fallouja, l’intensification de l’aide apportée aux Kurdes d’Irak face à Qaraqosh et Mossoul, l’appui fourni à ceux des Libyens qui, à Misrata, affrontaient les islamistes de Syrte, n’ont-ils pas légèrement corrigé l’idée d’une Amérique qui se croirait quitte de ses devoirs en tuant Ben Laden et en laissant vivre Daech ?

Bref, tout cela pour dire que Barack Obama est loin d’être ce « président failli » dépeint par mes contradicteurs de ce débat londonien. Je me suis même laissé aller à rêver tout haut, face à eux, de cet autre commandant en chef qui, au milieu d’une autre guerre infiniment plus terrible, il est vrai, que notre guerre contre les chaos postmodernes, sollicita et obtint un troisième puis un quatrième mandat.

Un président qui aurait commencé son règne dans la peau de Kennedy et l’achèverait dans celle de Roosevelt ? Absurde, bien sûr. Et trop tard. Et pourtant…


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