Plus tard, peut-être, je dirai ce que je pense, sur le fond, du texte de Robert Redeker paru dans Le Figaro du 19 septembre.

Pour l’heure, le principe est simple et doit être affirmé sans nuance.

On ne discute pas avec un homme à terre, on le relève.

On n’engage pas une dispute avec quelqu’un qui, à cause d’un article, se voit menacé de mort, traqué, stigmatisé – on lui tend la main, on le défend et, quand on est un gouvernement, on le protège, on protège sa famille, on le reloge.

Bref, je me moque de savoir si ce qu’a dit M. Redeker était stupide ou avisé ; je ne veux pas avoir à me demander s’il est bon ou mauvais professeur, apprécié ou non par ses collègues, aimé de ses élèves, bien noté ; je ne veux même pas me poser la question de ce qu’il avait en tête au moment de donner pour publication le texte incriminé ; M. Redeker, dès lors que ce texte lui vaut d’avoir sur la tête, au pays des droits de l’homme et de Voltaire, une sorte de fatwa, mérite un soutien total, indiscuté, sans bémol.

La liberté d’opinion ne s’arrête-t-elle pas, s’inquiètent certains, là où commence le respect de l’opinion d’autrui ? Non. Elle s’arrête – et c’est tout autre chose – là où commencent l’appel à la haine raciale ou, pis, l’appel au meurtre sur fond de haine raciale : l’islam n’étant pas une race mais une religion, il s’ensuit que le texte, même faux, même idiot, d’un professeur de philosophie vitupérant le Coran n’entre pas dans cette catégorie ; et y entrerait-il d’ailleurs, l’argument religieux serait-il le masque, en la circonstance, d’une stigmatisation raciste inavouée, que ce serait aux tribunaux, et aux tribunaux seuls, d’en juger.

Le professeur n’était-il pas, insiste son ministre de tutelle, Gilles de Robien, tenu par un devoir, sinon de réserve, du moins de « modération » ? Non plus. Car autant le professeur est en effet astreint, dans l’exercice même de son métier, dans l’enceinte de sa salle de classe, à un devoir de neutralité, autant le citoyen est, quand il s’exprime dans un journal, libre de son propos ; et croire ou feindre de croire le contraire, confondre les deux rôles et adresser au chroniqueur les remontrances que l’on serait éventuellement fondé à adresser à l’enseignant (et encore ! dans les formes et procédures requises ! certainement pas comme cela, en public, par médias interposés, et alors que le nom de l’intéressé est déjà jeté aux chiens !), voilà qui est, de la part d’un ministre de la République, une incompréhensible ânerie doublée d’une faute juridique, politique, morale, inexcusable.

Et quant à ceux qui, enfin, soutiennent Redeker mais du bout des lèvres, quant à ceux qui ne le défendent qu’après avoir pris la peine de dire l’antipathie qu’il leur inspire, quant à ces gens qui, au MRAP par exemple, osent parler de « provocation » qui « génère l’inacceptable » et renvoient ainsi dos à dos l’inacceptable « agression » islamophobe et l’inadmissible menace de mort des islamistes qui lui « répondent », quant à tous ceux qui, çà et là, insinuent que si, ce qu’à Dieu ne plaise, ce « plumitif nauséabond » venait à subir le sort d’un Theo van Gogh à Amsterdam et était « puni » pour son « blasphème », il n’aurait que ce qu’il a cherché et serait la vraie cause du geste qui le tuerait – ceux-là, donc, c’est peu de dire qu’ils donnent la nausée : ils prennent le risque, et de justifier le crime, et d’affaiblir la République.

Car nous n’avons d’autre choix, au point où nous en sommes, que de défendre inconditionnellement le chroniqueur du Figaro, par ailleurs membre du comité de rédaction des Temps modernes.

Le contenu de son article, son caractère possiblement polémique ou injurieux, n’a, je le répète, strictement plus rien à faire dans un débat où ce qui est en cause, c’est, outre la vie d’un homme, ce principe de laïcité conquis de haute lutte, au fil des siècles, contre les abus de pouvoir, l’intolérance, d’autres Églises.

Et il faut être conscient de ce que la moindre faiblesse dans ce débat, la moindre réserve orale ou même mentale quant à l’imprescriptible droit, pour chacun, de penser et imprimer ce que bon lui semble sur les religions et sur le reste, le moindre « malaise » concédé, la moindre « admonestation » ministérielle ou autre, la moindre indication suggérant qu’il y aurait des « limites » à ne pas franchir dans l’exercice de la libre-pensée et qu’elles auraient, en l’espèce, été franchies, serait un terrible cadeau fait à l’adversaire au milieu de la grande bataille en cours : comme dans l’affaire des caricatures ; comme au moment du tollé planétaire qui suivit le discours de Benoît XVI à Ratisbonne et le contraignit à des excuses ; comme avec la déprogrammation, la semaine dernière, à Berlin, d’un opéra de Mozart critiquant toutes les religions mais supposé, on ne sait pourquoi, offenser en particulier les musulmans…

Quand je dis « l’adversaire », j’entends (faut-il le préciser ?) non l’islam mais l’islamisme.

Quand je dis « la bataille en cours », je pense (faut-il, une fois de plus, le répéter ?) à la bataille que se livrent, en islam même, les partisans de la paix et de la guerre, de la démocratie et de la tyrannie – les héritiers de la haute civilisation musulmane et les prétendus théologiens qui tentent de s’approprier le Coran pour en faire un instrument de haine et de terreur.


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