Les deux articles de Bernard-Henri Lévy publiés dans Le Monde des 8 et 9 janvier sous le titre « Choses vues en Algérie » ont suscité de nombreuses réactions. La plupart de nos correspondants expriment leur approbation, quelques-uns d’entre eux leur hostilité. « J’ai trouvé là des informations, une enquête approfondie, qui démontrent qu’il est possible de soulever un coin du voile », nous écrit Annick Fert (Lyon). Le docteur Alexandre Sacuto (Pantin) rend hommage au « courage » de l’auteur et le félicite d’avoir « mis sa notoriété au service de cette cause ». « Bravo pour “Choses vues en Algérie”. Voilà du journalisme. Homme de lettres, M. Lévy donne à ce qu’il est toute sa vérité », nous dit Olivier de Sacy (Gagny). « Enfin un intellectuel parisien, connu de tous, quitte un temps son confort pour plonger dans l’Algérie au quotidien », souligne Simone Cros (Béziers), qui tient à préciser qu’elle est « loin d’être une inconditionnelle de BHL ».

D’autres lecteurs nous font part, au contraire, de leur désapprobation. Farid Saadi, président de l’association Sud-Cultures (Paris), accuse l’auteur d’ignorer « la nature profonde du pouvoir militaire en Algérie » et d’opposer « une Algérie traditionaliste » incarnée par les islamistes à « une Algérie moderniste et républicaine » personnifiée par l’armée. De la même manière, Jamil Zaharia (Paris) reproche à Bernard-Henri Lévy de se faire le « porte-parole de la dictature » et au Monde de « détruire sa crédibilité » : « Embauchez de vrais journalistes pour faire de véritables enquêtes », conclut-il. Plusieurs des contradicteurs de Bernard-Henri Lévy objectent pareillement que celui-ci n’est pas un spécialiste de l’Algérie et n’a donc aucune qualification particulière pour écrire sur cette question.

Ces critiques nous offrent l’occasion de rappeler que l’intervention d’un écrivain ou d’un philosophe dans les colonnes d’un journal relève d’une longue tradition, dont la récente commémoration du « J’accuse » de Zola vient encore de raviver le souvenir. Dans un éditorial du bulletin que publie, à l’Université catholique de Louvain, l’Observatoire du récit médiatique (octobre 1997), Marc Lits propose, à ce sujet, de distinguer « trois rôles distincts : l’expert, l’intellectuel ou le militant ». C’est, à l’évidence, comme intellectuel que Bernard-Henri Lévy a choisi d’intervenir sur la question algérienne.

Lorsqu’il écrit dans un journal, l’intellectuel adopte, qu’il le veuille ou non, la posture du journaliste. Jadis, de Proust à Mauriac, il était accueilli comme chroniqueur. Aujourd’hui, il s’exprime le plus souvent à la manière d’un éditorialiste. Dans quelques cas (Malraux dans L’Intransigeant ou Cendrars dans Paris-Soir avant la guerre, Sartre dans Combat à la Libération), il assume l’emploi du reporter. C’est ce rôle que Bernard-Henri Lévy a choisi de jouer pour Le Monde. Qu’on veuille bien juger le résultat de son travail sans idée préconçue.

Certains de nos lecteurs dénient à Bernard-Henri Lévy le statut d’intellectuel et, pour cette raison, refusent de le lire. Parce qu’ils attribuent son succès à ses talents publicitaires plus qu’à la qualité de son œuvre littéraire ou philosophique, ils le traitent non sans mépris d’intellectuel médiatique. Il ne nous appartient pas d’entrer dans cette querelle, dont « Le Monde des livres » s’est fait plusieurs fois l’écho, en rendant compte des essais et des romans de l’auteur. Sans doute existe-t-il plusieurs catégories d’intellectuels : les uns et les autres doivent avoir leur place dans les colonnes du Monde.


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