En 1996, peu de temps après la parution de son recueil de poèmes Le Sens du combat, récompensé par le prix de Flore, Michel Houellebecq a confié qu’il ne votait jamais, à l’exception des référendums.
Dans une tribune parue dans Les Lettres françaises en 1992, il avait expliqué pourquoi il dirait « non » à Maastricht. Une position précisée dans Approches du désarroi, un texte théorique du plus grand intérêt, publié en 1993, puis repris et corrigé en 1997. « Sur le plan politique, l’opposition au libéralisme économique mondialiste avait en fait commencé bien avant ; elle connut son acte fondateur en France dès 1992 avec la campagne pour le Non au référendum de Maastricht. Cette campagne tirait moins sa force de la référence à une identité nationale ou à un patriotisme républicain – tous deux disparus dans les boucheries de Verdun en 1916-1917 – que d’une authentique lassitude générale, d’un sentiment de refus pur et simple. Comme tous les historicismes avant lui, le libéralisme jouait l’intimidation en se présentant comme devenir historique inéluctable. »
Cette évocation de l’« identité nationale » et du « patriotisme républicain » peut sembler déroutante chez Michel Houellebecq.
Né à La Réunion, dans l’hémisphère sud, passé par l’Algérie, un temps exilé en Irlande puis en Espagne, il ne paraît pas avoir été immédiatement épris de la Maison France. D’autant plus qu’il a grandi dans une famille communiste où l’on chantait L’Internationale. Et pourtant. Houellebecq aime la France et la connaît bien. La Carte et le Territoire (2010) le certifie. Car le PCF dont il a la nostalgie, ce n’est pas l’extrême gauche culturelle qui « assume pleinement l’économie de marché » et fait défiler des mannequins en tenue d’astronautes place du Colonel-Fabien à l’occasion de la Fashion Week. C’est le parti d’Aragon, un de ses maîtres en poésie, chantant : « Je vous salue, ma France aux yeux de tourterelle,/ Jamais trop mon tourment, mon amour jamais trop. / Ma France, mon ancienne et nouvelle querelle. »
Quoi qu’en aient pensé les agents de la circulation idéologique, le soutien de Michel Houellebecq à la candidature de Jean-Pierre Chevènement lors de l’élection présidentielle de 2002 était donc cohérent. Parmi les éléments du « paradis perdu » dont les images hantent son œuvre, il y a la République unie et indivisible, « notre royaume de France », comme disait Charles Péguy, autre de ses attachements inattendus : « Je me sens très différent de Péguy, mais je l’admire. Tout est beau dans ce qu’il a écrit, que ce soit les alexandrins, les vers libres ou la prose. Sa pensée est plus complexe qu’on ne l’imagine. Il mérite à mon avis d’être lu intégralement. »
Autre trait français de Houellebecq : le sens de la dérision. En 2008, il a ainsi publié un livre avec un collègue qui vomit Péguy et l’identité nationale : Bernard-Henri Lévy. Recueil des courriers électroniques échangés par les deux hommes entre janvier et juillet 2008, Ennemis publics est un bricolage éditorial étrange, un dialogue de sourds. Dès qu’un motif de fâcherie se profile à l’horizon de leur conversation, l’auteur de Rester vivant l’esquive avec un art consommé de la fugue. A propos de la gauche morale, de la fascination des élites nomadisées pour l’Amérique, du populisme ou des couleurs de la France, leur échange aurait pu être saignant. Mais à aucun moment Michel Houellebecq ne se montre contrariant.
Le meilleur de cette conversation inattendue, c’est son appendice, paru dans la revue Artpress en décembre 2008. Encore une fois, « Michel », plus Droopy que jamais, laisse parler « Bernard » pour mieux le confondre. Ainsi lorsque le ténébreux BHL propose de « vaincre Le Monde diplomatique. Vaincre les épigones de Bourdieu. Marginaliser, autant que faire se peut, les souverainistes et autres chevènementistes », oubliant que son interlocuteur a soutenu le « Che » en 2002.
Les satisfaits, les aigris, les méfiants, les jaloux qui veulent se frotter à Michel Houellebecq doivent s’en souvenir : cet écrivain est redoutablement intelligent.
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