Je n’ai qu’un privilège pour parler de cette nouvelle Amérique : c’est d’avoir été l’un des tout premiers Européens à avoir rencontré Barack Obama, à avoir imprimé son nom et à avoir annoncé qu’il serait, un jour, président des Etats- Unis.

C’était le 27 juillet 2004, à Boston, lors de la Convention qui investissait John Kerry.

La soirée s’achevait.

Les Princes-Abbés du Parti, les Clinton, les Kennedy, les Howard Dean, avaient tous déjà parlé.

La salle, sachant que les gros discours, ceux que l’on cale, à la seconde près, entre deux coupures publicitaires de CNN, étaient passés, commençait de se vider.

Et c’est alors que surgit, dansant plus qu’il ne marchait, incroyablement libre de son corps et de ses gestes, charismatique, un jeune inconnu au nom bizarre qui venait juste d’être élu sénateur de l’Illinois et qui électrise ce qui reste d’assistance.

Je l’intercepte, sitôt sa performance achevée.

Nous passons, le lendemain, une partie de la journée ensemble.

Et je n’ai jamais douté ni, donc, de son destin présidentiel (je l’ai écrit, sur-le- champ, dans le magazine Atlantic Monthly) ni du fait qu’il changerait, s’il était élu, le visage de l’Amérique (je vais dire, ici, en quelques mots, pourquoi).

Barack Obama, d’abord, ce sera un virage décisif dans ce que l’on appelle, aux États-Unis, la « question raciale ».

Ses adversaires républicains prennent un malin plaisir à le présenter comme un « angry black man » dont l’élection relancera la guerre des races dans le pays.

C’est le contraire, en réalité.

Ce sera, très exactement, le contraire.

Parce qu’il est métis, parce qu’il descend, non d’une famille d’esclaves, mais d’un Kenyan et qu’il ne renvoie donc pas l’Amérique blanche à sa culpabilité, parce qu’il est intimement convaincu, surtout, que ces affaires de races appartiennent à un âge révolu de l’humanité US, il est le seul politique capable de mettre un terme à la longue marche commencée, il y a un demi-siècle, par un certain Martin Luther King.

Il donnera un coup d’arrêt, par conséquent, au communautarisme caricatural qui continue de ronger la société américaine.

Il rétablira la grande alliance, nouée au temps de la bataille pour les droits civiques, entre les minorités juive et noire.

Il contribuera aussi, bien sûr, à réconcilier l’Amérique avec le monde.

Il n’effacera pas, comme par enchantement, cet antiaméricanisme pavlovisé qui est en passe de devenir la religion de l’humanité ; mais il le réduira ; il le contiendra ; avec l’Europe, il rétablira les liens de confiance que les huit années de bushisme avaient brisés ; et, avec les autres, avec le monde musulman notamment, il rompra avec le discours simpliste et bête de la « guerre des civilisations » en tendant la main, contre les extrémistes et, pour ainsi dire, par- dessus leur tête, à l’opinion éclairée, modérée, en attente de droits de l’homme et de démocratie.

Sans doute n’est-il pas le meilleur économiste du pays.

Mais ce que je sais des hommes et femmes dont il a déjà commencé de s’entourer, ce que je devine du choix qu’il fera pour le poste de Secrétaire au Trésor, ce que, surtout, annonce explicitement son programme économique et financier, fait qu’il est le mieux armé pour aider l’Amérique à surmonter la crise sans précédent où elle est entrée et où elle a précipité le monde.

Relance par la demande…

Minimum santé sur le modèle européen…

Aide aux familles modestes, contraintes de renoncer à cette incarnation du rêve américain qu’est la possession d’une maison…

Redéfinition des missions d’un Etat fédéral qui devrait, s’il est élu, commencer de considérer qu’il est aussi de sa responsabilité d’empêcher la ville de Detroit de tomber en ruines, de consolider les digues du Mississippi à New Orleans et, demain, à Baton Rouge ou de se soucier des infrastructures routières, des ponts, des ports, des systèmes d’alerte antiouragan, en Floride…

L’Amérique, sous Obama, ne deviendra pas ce pays exemplaire dont rêvent, un peu naïvement, les plus enthousiastes de ses partisans.

Mais elle renouera avec ses valeurs.

Elle retrouvera le meilleur de son héritage.

Elle se réinscrira dans la tradition, et de Roosevelt, et de Kennedy.

L’Amérique, la vraie, celle qu’aiment et admirent les démocrates du monde entier, sera de retour.


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