On pourra – et il faudra – inlassablement rappeler la tragique absence des uns : ceux des « Insoumis » qui ont, en cette occasion, montré le pire visage d’eux-mêmes et de la gauche.

Les « propos de table » de l’un, à Tunis, insoutenables de cruauté et de haine négationniste…

Les déclarations d’une autre renonçant à défiler pour les Juifs au motif qu’elle était contre une femme, Mme Le Pen, avec laquelle elle n’avait pas craint, lors des manifestations contre les retraites, de marcher main dans la main…

Ou les mots définitifs du troisième, en vérité leur chef, voyant dans cette manifestation contre la haine antisémite un « rendez-vous » donné aux « amis du soutien inconditionnel au massacre… »

Ces gens sont soit des idiots, soit des salauds.

Ils renouent avec le pire de la tradition guesdiste, qui est, depuis un siècle, la plaie du mouvement ouvrier.

Et c’est pitié de voir leur « courage » salué par un torchon néonazi, Rivarol, dont le directeur a été maintes fois condamné pour provocation à la haine antisémite.

Quelques-uns ont sauvé l’honneur en enfreignant les ordres pour défiler à Strasbourg.

Mais je ne vois pas comment leur parti pourra survivre au déshonneur d’un chef qui parle comme Doriot.

On pourra – il faudra – ne pas se contenter de la présence des autres : ces lepénistes qui se sont inventé une vocation de « bouclier » des Français juifs.

L’heure est, certes, trop grave pour céder à la tentation du procès d’intention.

Et, quand la France voit se multiplier comme jamais les actes antisémites, le bon sens veut que l’on se réjouisse d’être nombreux à s’en inquiéter.

Mais une chose est le bon sens, une autre est la vérité.

Et, dans la guerre de longue durée qu’est la lutte contre « la plus vieille des haines », il faudra plus qu’une marche pour devenir un parti véritablement républicain.

Pour l’heure, le Rassemblement national a un président, Jordan Bardella, dont on aimerait qu’après avoir marché il réponde à des questions précises.

Croit-il toujours par exemple, comme celle qui l’a précédé, que la kippa est un signe religieux ostentatoire et que son port, comme celui du voile islamique, doit être proscrit de l’espace public ?

Pense-t-il, comme elle, que le président Chirac s’est égaré en reconnaissant la responsabilité de la France dans la rafle du Vél’d’Hiv ?

S’est-il séparé de ceux de ses conseillers (MM. Loustau et Chatillon, d’autres…) qui conseillent aussi un régime (celui de Bachar el-Assad) faisant de la haine des Juifs un point de programme et de doctrine ?

Qu’en est-il des dizaines de candidats crapuleux et, dans certains cas, néonazis dont La Règle du jeu avait, il y a quelques années, brossé le portrait et dont je ne sache pas qu’ils aient été massivement écartés ?

Et quand aura-t-il le réflexe, je dis bien le réflexe, d’admettre que son avant-dernier prédécesseur, Jean-Marie Le Pen, faisait preuve d’un antisémitisme monstrueux quand il se livrait à des jeux de mots sur le ministre « Durafour crématoire » ou qu’il tenait les chambres à gaz pour un « point de détail » de la Seconde Guerre mondiale ?

Marcher, c’est bien.

Mais cela n’interdit pas de penser.

Et, tant qu’elle n’aura pas pensé en profondeur sa mémoire criminelle, l’extrême droite de M. Bardella ne pourra pas prétendre avoir rompu avec l’antisémitisme fondateur de son parti.

Reste la marche elle-même.

Reste ce moment qui fut, en dépit de tout, un beau moment de sursaut républicain.

Et restent ces 182 000 femmes et hommes qui ne formaient ni une foule, ni une masse, ni même une multitude, mais l’un de ces rassemblements populaires dont notre pays a parfois le secret et que Jean-Paul Sartre appelait des groupes en fusion.

Il y a, selon Sartre, des bons et des mauvais groupes en fusion.

Il y a ceux qui sont porteurs de terreur et ceux qui respirent la fraternité.

L’on était clairement, ce dimanche, dans le second cas de figure.

Il régnait, dans les rues de Paris, cette qualité de silence, cette conscience de la gravité de l’instant, cette atmosphère de bienveillance et aussi, pour parler comme Jaurès, cette « haute température », qui sont la marque de la bonne fusion.

Et il y avait chez ces marcheurs qui se reconnaissaient sans se connaître, qui venaient de tous les horizons mais allaient tous dans la même direction, il y avait chez ces sujets venus sans avoir été appelés et eux-mêmes surpris de se voir si nombreux, tous les traits de ces grands mouvements qui, dans les premiers mois de la Révolution française, émerveillaient le jeune Sartre.

On attendait l’événement depuis la mort d’Ilan Halimi.

On l’attendait depuis l’assassinat, à Toulouse, des enfants de l’école Ozar Hatorah.

On l’espérait depuis le scandale judiciaire que fut l’instruction bâclée de la mise à mort de Sarah Halimi,

Eh bien il est venu. Ce fut un moment de grâce. Et cela n’eut lieu qu’en France.


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