Est-il si surprenant, vraiment, que le M.L.F. ait choisi la date du 8 mars pour célébrer sa « fête des femmes ». Et que les femmes, ce faisant, soient sommées de s’aligner sur un calendrier en vigueur à l’Est ou dans la mémoire communiste occidentale ?

La chose n’aura surpris, j’en ai bien peur, que les naïfs et les ignorants. Ceux qui s’obstinent à ne pas voir la pente où, depuis quelques années, s’engage le mouvement dit féministe. Ceux qui refusent d’entendre les très douteux échos de ce matérialisme, de ce matricialisme, de ce matrionisme sans rivage. Les sourds, si l’on préfère, à un discours qui, fondé sur le culte de la Vie, de la Nature, de la Reproduction, parie nécessairement sur le collectif contre l’individu ; sur le particulier contre le singulier ; sur la religion de l’Espèce contre les valeurs du sujet, de sa loi, de son éthique.

Repérer derrière leur fameux « droit à la différence », la trace, tenace, d’une dictature du Même. Reconnaître, au cœur de la prétendue « femellitude », un effort sans précédent pour boucler, quadriller, fliquer le corps féminin lui-même. Voir ce féminisme-là, autrement dit, comme une machine à décerveler les femmes concrètes ; à perpétuer leur enfermement ; à réduire la singularité, irrémissible, de leur révolte ; et à masquer qu’avant la matrice, il y a ce visage, bouleversant, que lui assignaient, jadis, à l’heure juive et chrétienne, de tout autres religions…

La guerre des chairs et des sexes

Qu’est-ce que Dominique Grisoni est venu faire dans cette galère ? Et pourquoi diable ce texte magnifique dans ce recueil hétéroclite consacré à la question de la virginité ?

Grisoni, pour ceux qui l’ignorent, est un jeune philosophe à qui le mérite revient d’avoir, en même temps que Maria-Antonietta Macciocchi, contribué à introduire en France l’œuvre de ce grand penseur, méconnu qu’est Antonio Gramsci.

Il est probablement l’un de nos meilleurs spécialistes de Marx, du marxisme, des mille et un courants qui, depuis près d’un siècle maintenant, se disputent sauvagement l’héritage du père fondateur.

Dégrisé, comme la plupart de ses contemporains, de son marxisme d’origine, il s’est engagé, il y a quelques années déjà, dans une enquête philosophique de longue haleine dont le texte qu’il nous donne aujourd’hui est, j’imagine, un avant-goût.

Et si j’invite à le lire c’est qu’on y trouvera une réflexion sur le stock d’images qui fait notre rapport à « l’idéal féminin » ; sur le type de fantasmes qui hantent, dans notre culture, le regard porté sur le corps, le visage de la femme ; sur le nœud d’illusions, de mensonges, de simulacres où se joue, et se noue, la guerre des chairs et des sexes ; bref, une réflexion aux sources mêmes de notre représentation du Désir qui, prenant place d’emblée au niveau des classiques du genre, est aussi, pour le moment, le meilleur antidote qui soit aux sombres prestiges du délire féminoïde.

Après les frères Concourt

Autre antidote, autre genre, autre livre : celui que vient de publier une autre amie, Anne Sinclair.

Est-il si courant, en effet, qu’une femme raconte ainsi, à mille lieues des logorrhées militantes habituelles, son double destin de mère et d’être socialisé ?

Qu’écartelée entre un enfant dont elle s’attache à fixer les premiers balbutiements et une carrière brillante, parfaitement ancrée dans le réel, elle nous épargne les bouffonneries de rigueur sur ce martyre à mi-temps, cette crucifixion quotidienne qui en seraient, paraît-il, la rançon ?

Que, partie sur ses propres traces et à la recherche de ce qu’elle pourrait pompeusement appeler son « identité de femme », elle ne cède jamais à la tentation obscurantiste de je ne sais quels « éternel féminin », « mystère » de féminité et féminitude « essentielle » ?

Anne Sinclair, je le précise, est aussi un vrai journaliste.

Elle sait ressusciter comme personne l’air d’un temps, d’un moment, d’un instantané d’Histoire.

Sa plume est comme un fin stéthoscope branché sur la grande rumeur d’une année qui aura vu, pêle-mêle, la victoire électorale de la gauche et l’attentat contre Sadate ; les chars rouges en Pologne et le triomphe de Montand à l’Olympia ; un club de la presse de Pierre Mendès France et la grève de la faim d’Andreï Sakharov…

Name dropping ? Carnets mondains ? Défilé de figures prestigieuses mais parfois trop « parisiennes » ? A ceux qui, ici ou là, s’indignent vertueusement de tant de « légèreté », je recommanderai volontiers la lecture d’un petit monument de langue dont Anne, à son insu peut-être, a plus d’une fois su s’inspirer : le Journal des frères Concourt.

Hallali contre Attali

Amitié pour amitié, un mot sur un autre ami encore. Un ami de jadis, celui-là, dont bien des choses, depuis un an, m’ont séparé. Je veux parler de Jacques Attali. De l’abjecte campagne qui semble, depuis quelques jours, s’être déchaînée contre lui. De ce vilain parfum d’hallali qui flotte autour de son nom dans la moitié, au moins, de la presse de ce pays. De cette boue, de cette fange où il se trouve traîné depuis que d’obscurs trafiquants de textes tentent de le faire passer pour un massacreur de vieillards. Et du fait qu’en dépit, je le répète, de tout ce qui présentement nous sépare, je ne puis, sur ce point, que lui dire ma solidarité…

Objecter qu’on est ici en présence d’une pure et simple diffamation ? Que le procédé est ignoble qui consiste à attribuer à un homme la lettre de positions qu’il n’expose que pour mieux les dénoncer ? Qu’il faudrait à ce compte, et mutatis mutandis, reprocher à l’auteur du Capital d’être un défenseur du capitalisme ou à celui de L’Archipel du Goulag un partisan des camps de concentration ? Bien du plaisir à messieurs les avocats ! Car l’essentiel, je le crains, n’est pas là. Les charognards, en leur délire, se moquent de ces pauvres raisons. Et c’est ailleurs, à l’évidence, qu’ils puisent leur certitude…

En fait, je crois que cette campagne de calomnie n’est pas très loin de celle qui frappa Simone Veil au moment du vote de la loi sur l’avortement. Qu’elle n’est pas sans rappeler non plus, quoique à un tout autre niveau, les fielleuses insinuations de tels adversaires du cinéma américain reprochant à Léon Blum d’avoir bradé aux Yankees la culture et le cinéma français. Et qu’elle illustre, pour tout dire, un antisémitisme new-look qui, affublant les victimes ou leurs héritiers de la défroque de leurs bourreaux d’hier, jouant de leur fantasmer une puissance sans limites, jouissant de leur supposer les projets les plus mortifères, finit par faire d’un intellectuel juif, conseiller du président de la République, rien de moins qu’un partisan de la « solution finale »…

La France de la honte, décidément, a encore de beaux jours devant elle.

L’heure de vérité ?

Et si la honte, la boue, la fange, étaient en train de devenir l’ordinaire de la politique ?

Car enfin, je ne me souviens pas d’une politique politicienne éclaboussée de tant de scandales, de fausses manœuvres du pouvoir, d’ignominies de l’opposition.

On n’avait jamais vu d’élections cantonales se disputer dans un tel climat de violence, de haine, d’intimidations réciproques avec, en toile de fond, suicides, calomnies et affrontements entre truands.

C’est la première fois, à ma connaissance, qu’un scrutin dont chacun s’accorde à reconnaître l’importance nationale se joue finalement à Marseille ; dans les bas-fonds de ses bouges, de ses tripots les plus douteux ; à l’ombre de ses cercles de jeux, aux avocats indélicats.

Et je me demande si ce n’est pas ici, alors, qu’est la leçon des cantonales d’avant-hier. Ni dans le tassement du P.S. Ni dans l’affaissement du P.C. Ni même dans l’« avertissement » reçu, dit-on, par le régime. Mais dans cette révélation simplement. Ce vieux secret de famille éventé. Cette loi du milieu brusquement portée en place publique. Cette loi de la jungle dont personne ne peut plus ignorer, désormais, qu’elle est la règle, en fait, dans les coulisses du spectacle. L’affleurement, dans les menues convulsions de cette singulière semaine, de cette vérité, haineuse, mafieuse qui était là, muette, au fond le plus intime du débat politique français.

Les amateurs de romanesque y trouveront sans doute leur compte. Les passionnés de démocratie, matière à inquiétude. Et en ce qui me concerne, je ne puis mieux faire, au terme de ces quelques notes, que rappeler le mot de Kafka soulignant le désastre qui s’opère, au sein d’une communauté humaine, quand vient à se déchirer, tout d’un coup, le voile séculairement jeté sur l’obscur fond de crime, d’« inhumaine boucherie » qui la tramait silencieusement.


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