A ceux qui voient venir avec un malaise grandissant la perspective, maintenant proche, de la guerre annoncée en Irak, à tous ceux qui ne se contentent pas des discours de convenance élaborés par les adversaires de cette guerre autant que par ses partisans, je recommande un petit livre qui arrive à point nommé : La guerre des Bush, d’Eric Laurent, chez Plon.
Ce livre a des défauts.
Écrit, j’imagine, dans l’urgence, il a une forme qui s’en ressent.
Mais il a le mérite d’articuler les questions que nous sommes de plus en plus nombreux à nous poser et, sans jamais tomber dans le piège de l’antiaméricanisme et du pacifisme, de s’interroger à voix haute sur les non-dits d’une stratégie dont on voit de mieux en mieux se préciser les effets pervers.
La genèse, par exemple, de la fixation quasi névrotique de George W. Bush sur l’Irak.
Le moment où le même clan Bush, qui, voilà vingt ans, au moment de la guerre Irak-Iran, et sous l’impulsion – déjà – d’un certain Donald Rumsfeld, armait Saddam contre Khomeyni, renverse ses alliances et désigne son ancien client comme ennemi public planétaire numéro un.
La logique étrangement variable et, du coup, jamais convaincante qui préside au changement de cap : tantôt on nous dit (mais sans parvenir à le prouver) que l’Irak détient, ou est sur le point de détenir, des armes de destruction massive ; tantôt on nous explique (mais pour le démentir aussitôt) que tel terroriste du 11 septembre a eu des contacts avec les hommes de Saddam et qu’il y a donc une route qui passe par Bagdad et va jusqu’à Al-Qaeda ; tantôt on parle (mais à demi-mot, de peur de froisser les alliés koweïtiens ou saoudiens) d’inoculer, via l’Irak, le bon virus démocratique dans le grand corps du monde arabe ; tantôt on donne à penser qu’il s’agit aussi, dans cette affaire, de sécuriser nos approvisionnements pétroliers (mais pourquoi, alors, ne pas être clair ? est-il honteux, pour des démocraties, de songer à la richesse des nations et aux conditions de leur prospérité ?).
Le rôle, dans ces choix ou ces non-choix, d’un petit groupe d’hommes que l’auteur semble bien connaître et dont il raconte avec minutie la prise de pouvoir à Washington.
Le brio, et la naïveté, du plus idéologue d’entre eux : l’influent Richard Perle.
Le mélange, chez l’autre architecte de la nouvelle ligne, Paul Wolfowitz, d’un radicalisme new look (il est de ceux qui voient très tôt le grand basculement d’époque au terme duquel le totalitarisme vert se substitue au totalitarisme rouge juste vaincu) et d’une étrange fixation sur les enjeux du monde ancien (quand il évoque les « Etats voyous » d’aujourd’hui, quand il énumère l’Iran, la Libye et, bien entendu, l’Irak comme bornes-témoins de « l’axe du mal », ne donne-t-il pas le sentiment de rester prisonnier d’une vision qui était celle de Bush père, ou même de l’ère Carter ?).
Le trou noir saoudien, face à cela.
L’immense, la terrible inconnue pakistanaise.
Le sentiment, oui, qu’à l’ancienne liste noire devrait s’en substituer une autre qui, si l’on y ajoute le Yémen, est constituée de pays dont on tremble de constater qu’ils sont, tous trois, alliés aux Etats-Unis et membres – quelle dérision ! – de l’internationale antiterroriste.
Et la question, en fait, de savoir si, en se trompant de liste, en gardant l’œil fixé sur la triade Irak-Iran-Libye quand l’essentiel se passe, désormais, sur l’axe Riyad-Sanaa-Karachi, on ne commet pas une erreur dont l’onde de choc sera terrible.
Je passe sur les pages que Laurent consacre à la quête désespérée – et navrante – d’un Massoud ou d’un Karzaï irakien.
Je ne parle pas de ses doutes – par définition bienvenus – quant à la non-résistance supposée d’une garde républicaine irakienne dont il a raison de souligner que les hommes, cette fois-ci, se battront le dos au mur et avec d’autant plus de férocité qu’ils n’auront plus, en cas de défaite, la moindre échappatoire personnelle.
L’essentiel du livre est dans l’éclairage qu’il porte sur les discussions internes au Pentagone et au Département d’Etat.
Il est dans l’appel au débat public – aux États-Unis, en Europe mais aussi, tant que faire se peut, dans les pays musulmans modérés – sur les enjeux d’un affrontement qui dépasse la question irakienne.
Ouvrir ce débat – n’est-ce pas, soit dit en passant, le sens de la « position française » telle que l’expriment le président de la République et son ministre des Affaires étrangères ? – c’est, déjà, un peu avancer.
Parler avant de frapper, tout faire, vraiment tout, pour ne pas laisser se former, aux côtés d’un Saddam martyrisé, un front du refus puisant dans la logique victimaire des arguments que n’imposerait pas la solidarité idéologique, voilà de la bonne politique.
C’est à cela qu’invite ce livre. Et c’est pourquoi j’y renvoie tous ceux qui, encore une fois, souhaitent de toute leur âme la chute de Saddam Hussein, sans vouloir prendre le risque de faire le jeu de Ben Laden.
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