Le 6 janvier 2011, ici même, j’avais publié un bloc-notes intitulé « Comment sauver les chrétiens d’Orient ? ». Le pape Benoît XVI venait, quelques jours plus tôt, de déclarer que les chrétiens étaient devenus, à l’échelle de la planète, « le groupe religieux en butte au plus grand nombre de persécutions à cause de leur foi ». Et, voyant de l’Égypte au Nigeria où la secte Boko Haram commençait de se faire connaître, des Philippines au Soudan et à la cathédrale de Bagdad endeuillée par un effroyable carnage, la série de crimes anticatholiques dont la seule nuit de Noël venait d’être le théâtre, je lui avais, évidemment, donné raison.
J’expliquais, dans ce papier, comment un mélange de laïcisme mal compris, de haine européenne de soi et d’anti-impérialisme pavlovisé était en train de nous rendre aveugles à ce retournement historique transformant une religion longtemps conquérante et dominante en une religion dominée, martyrisée et dont les fidèles se voyaient marqués au sceau d’une infamie mortelle. Et j’y prédisais que, si rien n’était fait, si la communauté internationale ne prenait pas très vite conscience de cette situation nouvelle, si elle ne s’élevait pas, d’une seule voix et, surtout, d’une seule force, contre cette déferlante antichrétienne, nous allions vers un désastre humain, un crime contre l’esprit et la civilisation, sans précédent, dans cette partie du monde, depuis longtemps.
Trois ans et huit mois plus tard, nous y sommes.
La solution finale d’une question chrétienne
L’antique cité assyro-chaldéenne de Qaraqosh a été vidée de ses chrétiens, à qui on n’a laissé d’autre choix que la conversion, l’exil ou la mort par le sabre. À Mossoul, l’ancienne Ninive, les maisons chrétiennes ont été marquées d’un « N » comme nazaréens qui valait invitation au départ pour les uns et permission donnée aux autres de saccager et de piller.
Dans les bourgs et les bourgades alentour, à Hamadanyia, Bartella, Tall Kayf, dans toute cette partie nord de l’Irak adjacente au pays kurde ainsi que dans les régions de Syrie où d’autres escadrons de fous de Dieu et de bandits construisent le deuxième pan de leur État islamique, on parle, sans que ces informations aient pu être toutes vérifiées, d’exécutions sommaires et en masse, de femmes enceintes éventrées, de jeunes hommes crucifiés, bref d’entières communautés de fidèles à qui on fait revivre, deux mille ans plus tard, le martyre même du Christ.
Et, si l’on ajoute à cela le cas des yézidis de Sinjar, cette minorité dont les rites s’inspirent des religions de l’ancienne Perse et du soufisme, mais aussi du catholicisme, et qui est considérée par les islamo-fascistes comme un autre repaire de Satan, c’est toute cette région du Levant qui fut le berceau du christianisme, qui a tant fait pour la richesse spirituelle de l’humanité et où l’on parle encore, dans les églises, la langue même de Jésus, c’est toute cette région, oui, qui est en passe de devenir non seulement judenfrei, mais christlichfrei, nettoyée de ses chrétiens après l’avoir été de ses juifs.
Alors, face à ces crimes en série, face à ce qu’il faut bien appeler la solution finale d’une question chrétienne qui obsède, quoi qu’on en dise, cette région depuis des siècles, que peut-on faire ?
La responsabilité du monde arabo-musulman
La France hausse la voix, et c’est bien. Ban Ki-moon parle de crime contre l’humanité, et c’est très bien. Les États-Unis de Barack Obama sortent enfin de leur sommeil isolationniste pour venir en renfort des peshmergas kurdes qui sont la seule force régionale à oser, pour le moment, résister et faire face – et l’on ne peut, encore, que s’en féliciter. Mais rien de cela ne suffira, nous le savons pertinemment, à faire rentrer chez eux les chrétiens persécutés.
Et la vérité est que l’essentiel de l’effort, voire de l’action de force, devra venir du monde arabo-musulman lui-même. Cet État, par exemple – l’Arabie saoudite -, qui est l’allié de l’Occident et où l’on encourage et finance, depuis des années et des années, un djihad auquel les hommes d’al-Baghdadi n’ont finalement fait que donner sa forme la plus radicale : n’est-il pas temps de le sommer de prendre ses responsabilités ?
Cet autre – le Qatar – qui, d’une main, achète les clubs sportifs, les lieux de mémoire ou les fleurons de l’appareil industriel de tel ou tel pays européen et qui, de l’autre, pratique, à domicile, un antichristianisme ordinaire qui ne peut qu’encourager les meurtriers – n’avons-nous pas les moyens diplomatiques, politiques, économiques de l’aider à se mettre en règle avec ses propres arrière-pensées ?
Toutes ces capitales arabes où l’on n’a guère entendu, soit dit en passant, tellement d’autorités morales ou religieuses dire leur horreur de l’opération de purification ethnico-spirituelle en cours à Mossoul et Qaraqosh, l’urgence n’est-elle pas de réfléchir avec elles, je dis bien avec elles, au meilleur moyen d’arrêter, avant qu’il ne soit trop tard, des hordes d’assassins dont il devrait être clairement dit que le drapeau noir n’a rien à voir avec le leur ?
Car l’enjeu est bien là. Ou bien les tenants de l’islam de tolérance et de modération désavouent et combattent les Khmers verts du Levant. Ou bien ils n’en ont pas le courage, la mystique de l’Oumma l’emporte sur l’amour de la vie et de leur propre survie – et ils vont droit à la guerre de civilisation que ces barbares ont déclarée et dont leurs femmes, leurs enfants et eux-mêmes seront, après les chrétiens, la toute prochaine cible.
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