Son livre sur Raymond Aron, Le Penseur des prochains jours, Alexis Lacroix l’ouvre par une conversation que nous eûmes, il y a vingt ans, à l’époque où il faisait, au Figaro, ses débuts de journaliste d’idées.

Et il me prête, dans ces pages, le « regret » d’une « rencontre avortée » avec le grand penseur français du libéralisme politique, disparu en 1983.

Cela n’est qu’à demi exact.

Ce qui est vrai, c’est qu’il y eut, en 1981, quand parut L’Idéologie française, une dispute publique d’une rare violence. Aron décréta le livre faux. Il m’en voulut du portrait injuste que je brossais, selon lui, de la France. Et il trouva, en particulier, que je surestimais la portée, dans notre pays, de l’antisémitisme. Jean-François Revel eut beau venir à ma rescousse dans L’Express. Puis Jorge Semprun, ici, dans Le Point. Il n’en démordit pas. Je répliquai. Et ce fut une polémique sans retour.

Et il me prête, dans ces pages, le « regret » d’une « rencontre avortée » avec le grand penseur français du libéralisme politique, disparu en 1983.

Cela n’est qu’à demi exact.

Ce qui est vrai, c’est qu’il y eut, en 1981, quand parut L’Idéologie française, une dispute publique d’une rare violence. Aron décréta le livre faux. Il m’en voulut du portrait injuste que je brossais, selon lui, de la France. Et il trouva, en particulier, que je surestimais la portée, dans notre pays, de l’antisémitisme. Jean-François Revel eut beau venir à ma rescousse dans L’Express. Puis Jorge Semprun, ici, dans Le Point. Il n’en démordit pas. Je répliquai. Et ce fut une polémique sans retour.

C’est ce Raymond Aron-là qu’Alexis Lacroix ressuscite dans ce livre brillant qui en appelle, avec discrétion, à la biographie générationnelle de l’auteur.

C’est cet antinazi de la première heure qu’il décrit, à Cologne, puis à Berlin, devinant avant la plupart de quel imminent désastre Adolf Hitler est le nom.

Il raconte le gaulliste historique rejoignant, parmi les premiers, le général de Gaulle à Londres et donnant, dans la revue La France libre, des textes dont la boussole est une hostilité méthodique à la « religion de la force ».

Il montre, avec une précision neuve, sa double postulation vers la pensée apaisée d’Emmanuel Kant et vers celle, belliqueuse et sombre, du penseur Carl Schmitt, qui définit le politique comme un effort vital, dans la mêlée mondiale, pour distinguer l’ami de l’ennemi.

Il dit son intraitable fidélité, encore, à un idéal occidental battu en brèche par le soviétisme comme, de nos jours, par la Russie, la Chine et leurs alliés.

Et puis il y a ce moment poignant où, en 1967, l’homme du 18 Juin prononce les mots irréparables sur le « peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur » et où l’ancien Français libre comprend qu’un tournant historial est en train de s’opérer et rédige, d’un trait, ce De Gaulle, Israël et les Juifs où il murmure que la perspective d’une destruction de l’État hébreu le « blesse jusqu’au fond de l’âme ».

Les polémiques personnelles, disait un autre des grands intellectuels, Gilles Deleuze, avec qui j’eus à ferrailler dans ces années, ne comptent finalement pas tant que cela.

Restent la noblesse d’un homme, l’exigence de sa pensée, l’esprit d’un conservatisme qui savait ce qui sépare une république libérale d’un populisme illibéral – et c’est vrai, cher Alexis Lacroix, que cet Aron-là manque à la France d’aujourd’hui.


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