États-Unis toujours. Établi là pour une partie de l’été et de l’automne. Et l’œil fixé, comme tout le monde, sur l’élection par excellence celle dont dépend le futur, non seulement de l’Amérique, mais de la planète.

Je lis les réactions, inhabituellement nombreuses, qu’a suscitées, au courrier, sur le Net, dans la blogosphère, mon dernier bloc-notes où j’annonçais la prévisible victoire de Barack Obama.

Et, comme je n’ai visiblement pas été compris, comme je me suis donc, j’imagine, mal exprimé et comme les lecteurs européens semblent avoir, de surcroît, de vraies difficultés à saisir l’originalité, la singularité et, pour tout dire, l’étrangeté de ce mode de scrutin, je recommence.

L’élection présidentielle américaine est une élection au suffrage universel, naturellement.

Mais ce n’est pas une élection où, comme en France par exemple, chacun des deux candidats fait campagne dans tout le pays et additionne, à l’arrivée, les voix qu’il a recueillies.

On vote dans chaque État.

Il y a cinquante élections différentes qui se tiendront le 4 novembre et dont l’enjeu sera le paquet de « grands électeurs », estampillés démocrates ou républicains, que chacun des cinquante États enverra au collège électoral qui, lui-même, un mois plus tard, élira le président.

Or, première originalité décisive : chaque État dispose d’un nombre de grands électeurs égal au nombre de ses sénateurs (deux par État, quelle que soit sa taille) augmenté du nombre de membres qu’il envoie à la Chambre des représentants (et qui dépend, lui, en revanche, de son poids démographique – avec, là, un écart considérable entre tel État très peuplé qui, comme la Californie, voit cinquante-trois grands électeurs s’ajouter aux deux premiers et des États très vastes mais peu peuplés qui, comme le Wyoming, le Nebraska, ou l’Alaska, n’en auront qu’un de plus).

Et seconde particularité, tout aussi capitale mais que les observateurs européens ont, apparemment, du mal à intégrer : quel que soit le score obtenu dans chacun des cinquante États (plus le District de Washington, qui enverra, lui, trois grands électeurs supplémentaires), qu’il y triomphe d’une courte tête ou largement, qu’il y totalise 80 %, 60 % ou 51 % des suffrages, le vainqueur raflera, dans tous les cas, en vertu du principe dit du « winner take all » , la totalité des « points », c’est-à-dire des « grands électeurs », attribués à chacun.

Conséquence : il y a des États si vastes mais qui pèsent si peu dans la balance (les trois délégués du Wyoming ou de chacun des deux Dakotas ; les quatre du Maine, de l’Idaho ou du lointain Hawaii) qu’aucun candidat ne prendra le risque d’y passer un temps et d’y dépenser un argent qui seront dix fois plus productifs dans des États qui, comme l’Ohio, la Pennsylvanie ou l’État de New York se parcourent aisément et « rapportent », respectivement, 20, 21 et 31 délégués.

Conséquence : il y a des grands États, pourvoyeurs d’un grand nombre de grands électeurs, mais qui sont si solidement ancrés, par tradition, dans un camp ou dans l’autre (le Texas, l’Arizona ou la Caroline du Nord pour les républicains ; la Californie, l’Illinois ou l’État de New York pour les démocrates) qu’on ne va non plus y perdre temps et argent dans le seul but de passer d’un 51 % quasi assuré à un 55 % ou 60 % qui ne changera rien, je le répète, au fait que la totalité des grands électeurs y sont acquis.

Conséquence, enfin : la bataille, toute la bataille, va donc se concentrer sur un très petit nombre d’États que l’on appelle les « swing states », autrement dit les « États bascules » , et qui votent en fonction de considérations locales, voire ultralocales, n’ayant plus grand-chose à voir avec les grandes questions internationales, ou même simplement nationales, sur lesquelles se polarisent les commentateurs – la fermeture d’une mine dans une ville moyenne de l’Ohio ; les subventions au maïs dans l’Iowa ; un geste en direction des exilés cubains de Miami qui peut suffire à obtenir les vingt-sept grands électeurs de Floride ; paradoxe d’une élection « mondiale » qui se dispute, pour des raisons de structure, comme une série de « cantonales »…

Bref, si je pense qu’Obama va l’emporter, c’est à cause de son charisme, certes.

C’est à cause du magnifique espoir qu’il a su soulever dans l’ensemble du pays, bien sûr.

Mais c’est aussi parce que j’écoute ce qu’il commence à dire aux électeurs du Minnesota ; je vois comment il s’adresse aux victimes des inondations de l’Iowa ou aux Hispaniques du Nevada ; j’observe comment il dose, à Atlanta, l’hommage aux Églises blanches sans énerver les Églises noires ; comment, dans les villes sinistrées de la région des Lacs, il drague les métallos sans céder aux sirènes d’un protectionnisme qui lui aliénerait les États frontaliers du Mexique ; ou encore comment – et l’exercice de funambulisme devient, pour le coup, problématique – il soutient les partisans de la peine de mort pour les violeurs d’enfants de Louisiane mais à mi-voix, du bout des lèvres, en veillant à pas heurter les abolitionnistes du New Hampshire ; Barack Obama sera élu parce qu’il est aussi le plus rusé des grands politiciens produits, depuis longtemps, par l’Amérique.

C’est mon analyse et mon pari. C’est ainsi que je vois, pour le connaître un peu, le plus lyrique et le plus pragmatique, le plus enthousiasmant et le plus machiavélien, des réformateurs américains depuis Kennedy. Rendez-vous le 4 novembre. Ici.


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