Cette histoire Frêche est tout de même incroyable.
Voilà un responsable socialiste, patron d’une grande région de France, qui explique tranquillement, à propos de son camarade de parti Laurent Fabius, que « voter pour ce mec en Haute-Normandie » lui « poserait un problème » car « il a une tronche pas catholique ».
Et voilà toute une partie de l’opinion, socialiste et pas socialiste, qui vole au secours, non de l’insulté mais de l’insulteur en nous expliquant qu’il n’y a pas péril en la demeure ; qu’il faut arrêter de voir le mal et, en l’espèce, l’antisémitisme partout ; que c’était juste une façon de parler, une blague, un calembour ; voilà Gérard Depardieu lui-même, oui, le grand Gérard Depardieu dont on compte sur les doigts d’une main le nombre des interventions politiques et qui prend la plume pour demander « qu’on foute la paix » à Monsieur Frêche car Monsieur Frêche « a grandement fait pour la région », car Monsieur Frêche est « bien plus vrai et sympathique que Martine Aubry et compagnie », et car Monsieur Frêche n’a rien fait d’autre que dire tout haut ce que, dans sa famille à lui, Depardieu, comme dans toutes les familles où l’on « ne savait ni lire ni écrire » et où le père « buvait » , on a toujours entendu dire tout bas.
Le malheur, cher Gérard Depardieu, c’est que Monsieur Frêche sait lire et écrire et qu’on est, quand on sait lire et écrire, comptable de ce qu’on dit.
Le malheur c’est que, quand on est Monsieur Frêche, c’est-à-dire un élu de la République, l’alcool n’est pas une excuse à l’antisémitisme, au racisme, à l’obscénité.
Le malheur, la vérité, c’est qu’il vaut mieux ne rien dire du tout, ne pas se mêler de politique, que d’accepter, comme vous semblez le faire, de la voir ramenée – la politique – à ce degré zéro qu’est l’affirmation du caractère plus ou moins « sympathique » , ou « vrai » , de tel ou telle : c’est ainsi que l’on parlait, jadis, de Jean-Marie Le Pen ; c’était, aux yeux des naïfs, sa force et son atout ; on disait : « lui au moins parle vrai ; lui au moins parle cru ; on en a marre de cette langue aseptisée, de cette langue de bois, de cette langue châtiée, qu’est la langue de l’establishment et avec laquelle il a, lui, le mérite d’avoir rompu » – on disait cela, oui, et c’était assez pour lui assurer une place « sympathique » sur les tréteaux et dans les cœurs ; faut-il, franche- ment, en revenir là ? faut-il qu’un homme comme vous tombe dans le piège d’une platitude, d’une beaufitude, aussi grossières ?
Car la vérité, enfin, c’est que si on laisse passer un mot pareil, si on laisse un responsable de ce niveau s’exprimer comme la première brute avinée venue ou comme, dites-vous, le « Stéphane Guillon » qu’il n’est, hélas, pas davantage, bref, si on laisse un édile qui a peut-être, en effet, fait de « grandes choses » pour « sa région » parler de Laurent Fabius comme Maurras parlait de Blum ou de Mandel, alors, cher Depardieu, je ne veux pas dramatiser, ni employer de trop grands mots, ni donner à cette affaire plus d’importance que n’en a l’incontinence verbale d’un vieil homme qui nous rappelle que ni la sottise ni le populisme ne sont l’apanage d’un camp plutôt que d’un autre, alors, oui, on participe d’un abaissement de l’esprit public qui n’avait pas, depuis longtemps, donné tant de signes que ces jours-ci.
Le Parti socialiste aurait déjà dû exclure Monsieur Frêche quand, en 2006, il a interpellé un groupe de harkis de Montpellier en les traitant de « sous-hommes ».
Il aurait dû s’en séparer quand, la même année, en février puis en novembre, il reprit mot pour mot les mots de Jean-Marie Le Pen sur l’équipe de France de football devenue, à ses yeux, un ramassis de « crétins » qui ne « savent pas chan- ter La Marseillaise » car ils sont presque tous « Blacks » – la « normalité, expliqua finement le maire de Montpellier, serait qu’il y en ait trois ou quatre » ! mais là, avec « neuf Blacks sur onze », on a passé le seuil et c’est l’âme de la France qui s’est perdue !
Il aurait fallu le chasser, cet homme, quand, l’année précédente encore, après avoir expliqué ses revers électoraux par le fait que sa ville était devenue, tantôt « un poste avancé de Tsahal », tantôt un « fief de femmes voilées » liées à Al-Qaïda, il avait dit de ses administrés d’origine maghrébine : « ils ne vont pas vouloir, maintenant, nous imposer leur religion » ; puis : « le problème majeur ce n’est pas la religion, mais le nombre » ; puis, enfin : « il y en a marre de voir la France se culpabiliser sur la colonisation » et tant pis pour les « universitaires trous du cul » qui trouveront à redire à mon idée géniale de créer, dans la région où j’ai accompli tant de grandes choses, un « musée de la France en Algérie ».
On le fait aujourd’hui.
J’allais dire aujourd’hui seulement.
Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire.
Et il faut que les socialistes sachent bien que le moindre atermoiement, le moindre accommodement, la moindre manœuvre ou contorsion face à la décision de Martine Aubry auraient pour effet de disqualifier par avance tout ce qu’ils auraient à nous dire de tel débat sur l’identité nationale ou de tel dérapage de Messieurs Hortefeux ou Besson.
L’affaire Frêche n’est pas l’affaire Frêche. C’est l’un de ces marqueurs, Michel Foucault aurait dit l’une de ces « sécrétions du temps », où il arrive que se joue l’essentiel – et où, en la circonstance, la politique retrouve son honneur ou le perd.
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