Ainsi donc, parmi toutes les « idées stupides » – sic – qu’il a été donné à Nicolas Sarkozy d’entendre dans sa vie, « la plus stupide de toutes », la « championne olympique » de toutes les idées stupides, serait de menacer les Chinois de boycotter les Jeux olympiques de 2008 s’ils persistaient à soutenir le régime terroriste et criminel de Khartoum.

Ayant été, je l’avoue à ma courte honte, un peu à l’origine de cette idée et étant l’un des premiers, avant Mme Royal et M. Bayrou, à m’être fait le porte-parole de cette « stupidité » dont se gausse le candidat et dont je pense, moi, au contraire, que c’est l’un des outils dont nous disposons, parmi d’autres, si nous voulons faire pression sur la Chine pour qu’elle fasse elle-même pression sur le Soudan et que celui-ci arrête enfin, au Darfour, un massacre responsable, au bas mot, de 300 000 morts et de 2,5 millions de déplacés, je me dois de lui répondre.

Je passe sur les propos, que j’espère de circonstance, sur le sport « sublime », source de « paix » et de « joie », auxquels de mauvais esprits seraient en train de vouloir mêler le mauvais sang des Darfouris.

Je passe sur les considérations du style « veut-on que la Chine s’ouvre ou se ferme ? veut-on qu’elle devienne la Corée du Nord ? » : c’est toujours ce que l’on dit ; c’est toujours comme cela que l’on se justifie quand on a décidé, au nom de la realpolitik, de s’asseoir sur les principes ; or, Nicolas Sarkozy le sait aussi bien que moi, c’est toujours une faute ; c’est toujours une erreur d’analyse ; et c’est un discours qui, de surcroît, est toujours reçu comme un outrage, voire un lâchage, par ceux qui, sur place, luttent pour que leur pays s’ouvre, vraiment, aux droits de l’homme et aux libertés.

Je passe enfin sur l’argument bizarre selon lequel les JO ne s’étant pas interrompus, en 1972, après le massacre des athlètes israéliens à Munich, il n’y aurait pas de raison, cette fois non plus, de réagir outre mesure : pourquoi ne pas invoquer, tant que l’on y est, le précédent des Jeux nazis de 1936 ? et pourquoi ne pas ériger en principe la règle selon laquelle les lâchetés commises par les aînés, loin de servir de leçon pour les cadets, devraient valoir excuse pour les infamies à venir ?

Je veux juste, en fait, poser à celui qui sera peut-être notre prochain président de la République trois questions très simples.

Que s’est-il passé entre l’époque, il s’en souvient sûrement, où il trouvait, comme moi, intéressante la menace, lancée par Andreï Sakharov, de boycotter les Jeux olympiques de Moscou si le régime de Brejnev ne donnait pas des signes d’ouverture sérieux en direction des dissidents – et l’époque, aujourd’hui donc, où la même hypothèse lui semble le comble de l’absurdité ?

Que s’est-il passé entre le jour, il y a deux mois, où, dans son discours d’investiture, il disait que rien n’était plus important que de ne pas laisser les crimes du Darfour devenir un point de détail de l’histoire du XXIe siècle et ce samedi où, face à un public de sportifs qui n’en demandait à mon avis pas tant, il déclare que « le sport, c’est plus important que tout » (sous-entendu : plus important que des centaines de milliers d’hommes, femmes, enfants, brûlés vifs, éventrés, terrorisés comme du bétail, déplacés) parce que ça fait partie, sic, des « petits bonheurs de la vie » ?

Et puis étant donné, enfin, qu’il a, comme les autres candidats, comme Mme Royal et comme M. Bayrou, signé, l’autre soir, à la Mutualité, la charte d’engagement proposée par Urgence Darfour et où il était expressément stipulé que, s’il était élu, il « dénoncerait avec énergie tout pays qui s’opposerait aux sanctions prises à l’encontre du Soudan » (sous-entendu : la Chine, qui ne cesse, depuis quatre ans, au Conseil de sécurité, de faire obstacle à tous les projets de résolution qui vont dans le sens d’une condamnation de Khartoum), a-t-il une idée plus énergique, pour faire plier la Chine, que cette menace de boycott – et, si oui, peut-il nous indiquer laquelle ?

Pour l’heure, et dans l’attente, je m’en tiens à ce que j’entends et vois.

La plupart des responsables des Nations unies, à New York, où je me trouve, s’accordent à penser et dire que le spectre de ce possible boycott a déjà eu pour effet, à quelques heures d’une réunion capitale sur la question, d’assouplir la position de Wang Guangya, le représentant permanent de la Chine.

Et, surtout, surtout, il y a eu le récent voyage à Khartoum du président de la République Hu Jintao qui, pour la première fois, en écho direct à la mobilisation qui monte dans le monde entier et dont l’écho est arrivé jusqu’à Pékin, a exhorté son homologue soudanais, le général El Bechir, à accepter le principe de cette force onusienne d’interposition et de paix dont il n’était, jusqu’à présent, pas question.

Les Chinois tiennent plus que tout à ces olympiades. A aucun prix ils n’accepteront de voir leur slogan, « un seul monde, un seul rêve », stupidement gâché, pour le coup, par un allié persévérant dans son cauchemar génocidaire. Eh bien qu’ils en paient le prix ; qu’ils mettent au pas cet allié dont ils sont aussi les clients et sur lequel ils ont une influence décisive ; qu’ils nous aident à faire en sorte que ces Jeux ne soient pas les Jeux du sang et de la honte – mais, comme il se doit, ceux de la paix. C’est, pour ce qui reste du Darfour, la dernière chance.


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