Mais que s’est-il donc passé ?
Et se réjouir de la victoire d’Obama interdit-il de s’interroger sur l’enchaînement de circonstances qui a fait de celle qui, il y a six mois, apparaissait aux démocrates comme leur « candidate inéluctable » la perdante d’aujourd’hui ?
À cet irrésistible déclin il y a plusieurs sortes de raisons – qui n’ont pas échappé aux commentateurs.
Un style trop raide, presque masculin, à l’image de ces tailleurs-pantalons qu’elle n’a pas quittés de toute la campagne.
Une forme, raccord avec cette raideur, de manichéisme idéologique qui tranchait avec le pragmatisme, la prudence de son adversaire.
L’affaire, à l’inverse, de la guerre en Irak dont elle soutint le principe il y a quatre ans avant de changer d’avis, mais trop tard, dans le feu de la campagne, et sans le minimum d’explications qui eût fait passer ce revirement pour autre chose qu’un reniement.
Ses erreurs, naturellement. Ses erreurs incontestables et, parfois, impardonnables. À commencer par l’évocation, en juin, de l’assassinat de Robert Kennedy que l’on ne pouvait pas ne pas entendre, en stricte écoute freudienne, comme l’expression d’un rêve éveillé, donc comme la réalisation d’un désir inavoué et, donc, comme la manifestation d’un inconscient à ciel ouvert dont on n’avait jamais vu, chez aucun autre politique au monde, de cas aussi flagrant.
Le sexisme, enfin. Les spéculations incessantes sur une « incompétence » qui semblait moins inquiéter s’agissant du très jeune Obama ou des nullissimes Mitt Romney et Mike Huckabee. Le fait, en d’autres termes, que l’Amérique est un pays où – grâces soient rendues au combat pour les droits civiques dont Hillary fut d’ailleurs, toute sa vie, une des ardentes avocates – il est devenu plus facile à un Noir qu’à une femme d’accéder aux fonctions les plus hautes et, à plus forte raison, la plus haute.
Mais à toutes ces raisons s’en est ajoutée une dernière que je n’ai vue évoquée nulle part et dont je suis pourtant convaincu que c’est elle qui, à la fin des fins, a pesé le plus lourd.
La réprobation des femmes.
Je veux dire : contrairement à ce que prétend aujourd’hui la sénatrice elle-même, à l’inverse de ce dont elle semblait convaincue, le dernier jour, dans ce grand et beau discours du National Building Museum où elle brandissait la cause des femmes pour s’en faire un ultime étendard, la haine de toute une frange d’électrices pour cette semblable, cette sœur, dans laquelle elles ne se sont jamais reconnues.
Schéma classique sans doute.
Schéma familier pour un Français qui a vu les mêmes causes produire les mêmes effets dans le cas, il y a un an, du rejet fou, irrationnel, souvent sans mots, de la candidate de la gauche par nombre de femmes françaises.
Mais avec, dans l’affaire Hillary, une dimension supplémentaire car liée à cette maladie qui est propre à la politique américaine et qui s’appelle le puritanisme : le souvenir de l’affaire Lewinsky.
Que de femmes j’ai vues, dans les villes moyennes de l’Alabama et du Nevada, dire et répéter qu’elles ne comprenaient pas son indulgence pour son voyou de mari !
Que de conversations, dans les Starbucks de Des Moines mais parfois aussi de New York, entre dedicated mummies soutenant que seule l’ambition, la plus opportuniste, la plus laide, la plus féroce des ambitions, expliquait pareille mansuétude pour un péché qui est, après le meurtre, le plus impardonnable de tous !
Sans parler de ce cri du cœur qu’il fallait être sourd, ou sourde, pour ne pas entendre et qui était le vrai programme commun de toutes les commères conservatrices, républicaines et démocrates confondues : « si mon mari, moi, me faisait ça… s’il m’humiliait comme il l’a humiliée… je partirais… je déménagerais… alors retourner sur les lieux du crime, pousser le vice et la complaisance jusqu’à vouloir occuper à mon tour le bureau même où l’acte s’est commis, non mais des fois… quelle horreur ! quelle honte et quelle horreur ! jamais ! »
La chose aurait pu tourner autrement.
Le goût du spectacle, et de ses scénarios inédits, aurait pu donner l’envie de voir la femme bafouée mise dans l’inimaginable, donc passionnante, situation d’entrer dans la maison du diable pour y boire son calice jusqu’à la lie.
La political correctness en a décidé autrement.
Le féminisme américain, dans sa version réactionnaire, a choisi de punir Hillary et son libéralisme criminel.
En sorte que sa défaite, comme celle, encore une fois, de Royal l’année dernière, n’est pas celle des femmes mais parfois, hélas, leur victoire.
La différence, c’est que Royal, elle, est toujours là. Alors qu’il y a, dans la politique outre-Atlantique, et en particulier chez les démocrates, une loi non écrite qui veut qu’un candidat qui a couru, puis perdu, ne revienne, à de très rares exceptions près, jamais dans la partie. Il n’y a pas de seconde chance, c’est bien connu, pour les héros américains. À plus forte raison les héroïnes.
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