Pas grand-chose à ajouter à ce qu’a dit Badinter. Et Bredin. Et Sureau. Cette loi sur la rétention de sûreté est une loi terrible. C’est une loi qui, pour la première fois, entend sanctionner un sujet, non pour ce qu’il a fait (et pour quoi il a déjà payé), mais pour ce qu’il pourrait faire (et qu’il ne fera pas si l’on continue, sa peine purgée, de le tenir enfermé). C’est une loi qui, par conséquent, tourne le dos à ce qui fait l’honneur, la grandeur, la difficulté aussi, de la justice en démocratie (le criminel, fût-il le pire des hommes, est un délinquant, pas un monstre – et il est, non moins que sa victime, partie prenante au contrat social). Et quant à la volonté, assumée comme telle par le chef de l’État, de trouver l’astuce permettant de contourner l’avis négatif du Conseil constitutionnel sur la rétroactivité d’une loi déjà elle-même problématique, c’est une première, là aussi, dans l’histoire de nos institutions (depuis quand la Cour de cassation est-elle aux ordres de l’exécutif ? le juge Lamanda serait-il un autre M. Guaino chargé de conseiller le Président et d’assurer sa communication ? et la non-rétroactivité n’est-elle pas la base non négociable de tout l’édifice judiciaire ?). On a scrupule à rappeler l’évidence.
Mais les délinquants ne sont pas des malades. Les juges ne sont pas des psychiatres chargés de dépister des risques de rechute. Et faire de la justice une région de la clinique, substituer au schème de la responsabilité celui de la dangerosité et de son évitement, c’est renouer avec les temps sombres du pénalisme prémoderne. Il faut défendre la société, disait Foucault. Il faut la défendre contre elle-même. Mais aussi, en la circonstance, contre les apprentis sorciers qu’elle a élus et qui jouent avec les principes au nom d’un populisme pénal qu’il faut combattre sans merci.
Le mystère, c’est Obama. Je le connais un peu. Et je l’ai connu, surtout, à un moment, juillet 2004, où personne ne parlait encore de lui et où les organisateurs de la convention démocrate le tenaient pour quantité si négligeable qu’ils programmèrent son discours en toute fin de soirée, à l’heure où les gradins commencent à se vider et où l’on n’a plus de comptes à rendre aux annonceurs de CNN. Alors, sur l’Obamania du moment, j’ai deux explications. La première, c’est que les Américains sont un grand peuple républicain et qu’il est en train, ce peuple, de faire tranquillement ses comptes : quatre ans de Bush père, plus huit ans de Bush fils, plus huit ans de Clinton Bill, plus huit ans de Clinton Hillary, cela fera, si Hillary passe et si, comme les autres, elle fait deux mandats, vingt-huit ans de pouvoir aux mains de deux familles, deux seulement, autrement dit deux dynasties – insupportable, eût dit Tocqueville, en ce pays si rebelle à toute forme d’oligarchie. Et puis, secundo, Obama est, certes, noir ; mais pas noir comme Jesse Jackson ; pas noir comme Al Sharpton ; pas noir comme sont les Noirs nés en Alabama ou dans le Tennessee et qui, dès qu’ils paraissent, rappellent à l’Amérique les souvenirs de l’esclavage, des lynchages, du Ku Klux Klan ; non ; Noir venu d’Afrique ; Noir descendant, non d’un esclave, mais d’un Kenyan ; un Noir qui, par conséquent, a l’incomparable mérite de ne pas renvoyer l’Américain moyen aux pages honteuses de son histoire ; si Obama l’emporte, ce sera à cause de son talent, bien sûr ; à cause de son charisme ; à cause de ses positions antiguerre, de son côté nouveau Kennedy et de la nouvelle frontière qu’il offre à son pays ; mais ce sera aussi parce qu’il est le premier politicien noir à qui sa biographie permet de jouer, non sur la culpabilité, mais sur la séduction – le premier à être en situation de devenir, au lieu du reproche de l’Amérique, sa promesse.
L’indépendance du Kosovo sera-t-elle un exemple pour tous les irrédentismes d’Europe et de Navarre ? Peut-être. Nul ne le sait. Mais ce que l’on sait, en revanche, et à coup sûr, c’est qu’il y a des indépendances justes, au sens où on le dit de certaines guerres. Quand on vous a humilié. Massacré. Épuré ethniquement. Quand on a violé méthodiquement vos femmes. Brûlé non moins méthodiquement vos maisons. Quand on a, près de Racak, en janvier 1999, assassiné froidement, comme à Katyn, les paysans de tout un village. Quand on a déplacé un million des vôtres. Transformé votre pays en ruines. Quand on vous a, en un mot, pendant des décennies, fait une impossible vie. Là, oui, la sécession est un droit. Là, oui, l’indépendance est la seule, la dernière, des solutions. Je sais ce qu’en pensent les Serbes, même quand ils sont antitotalitaires et démocrates. Je sais qu’ils sont sincères quand ils se récrient : « oui, d’accord ; mais nous ? notre mémoire ? nos monastères ? notre généalogie réelle et légendaire ? notre patrie spirituelle ? notre berceau ? » Mais c’est avant, amis, qu’il fallait s’en inquiéter. Avant le désastre. Avant la destruction, en votre nom, du vivre-ensemble yougoslave. Avant la longue et criminelle folie qui a fait que vos dirigeants ont transformé, hélas, le berceau en tombeau. Aujourd’hui le mal est fait. Et vous n’avez plus, en la circonstance, qu’un droit. Celui de voir les Serbes restés au Kosovo y vivre libres, égaux et, naturellement, en sécurité. Sous la protection du nouvel État. Et sous celle, si c’est nécessaire, de la communauté internationale.
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