Les chancelleries vont, comme à leur habitude, minimiser la chose. Les experts vont expliquer qu’il n’y a pas d’extrémisme religieux qui ne soit très vite soluble dans l’exercice des responsabilités et du pouvoir. On va mettre en garde Américains et Israéliens contre la tentation de la force. On va dire et répéter qu’il est urgent d’attendre et de juger l’heureux élu sur ses actes. Et quant à Vladimir Poutine, il lui a déjà donné, lui, contre promesse de pétrodollars, un tonitruant brevet de respectabilité et de bonne conduite. Il faut dire les choses comme elles sont. M. Ahmadinejad est un homme dangereux. Et son élection à la présidence de la République islamique d’Iran est un événement catastrophique.
Venant après la reprise en main, en 2003 et 2004, des grandes municipalités puis du Parlement, elle est une étape de plus, d’abord, dans le retour en force de l’aile conservatrice du régime. L’ayatollah Khamenei, Guide suprême de la révolution, avait beau être la clé de voûte du système. Il avait beau, depuis qu’il a succédé à Khomeyni, se voir constitutionnellement réserver le dernier mot dans les grands choix. La personnalité de l’ancien président Khatami avait, qu’on le veuille ou non, un effet de modération. Avec cet homme-ci, avec ce candidat qui, à la veille du scrutin, déclarait que « le Guide suprême n’a aucune faiblesse », avec cet élu dont l’une des premières déclarations fut pour dire que le peuple iranien n’a « pas fait la révolution pour avoir la démocratie », avec ce « laïque » qui ne commence jamais une conférence de presse sans d’interminables prières pendant lesquelles ses partisans embrassent le livre sacré, les durs n’ont plus de souci à se faire – et les réformateurs, les jeunes, les femmes qui ont pris l’habitude de sortir avec des tchadors de couleur, les intellectuels ont toutes les raisons, eux, de s’inquiéter.
Issu lui-même des Gardiens de la révolution et, au sein des Gardiens, des unités spéciales chargées, au début des années 80, des interrogatoires musclés et des tortures, devenu officier supérieur d’une autre brigade chargée de ce que l’on appelait alors, pudiquement, les « opérations extraterritoriales » et qui désignait la direction stratégique des opérations de commando à l’étranger, personnellement mêlé, de ce fait, à quelques missions très particulières dont l’exécution, en 1989, à Vienne, du dirigeant kurde Abdelrahman Ghassemlou ou, plus tard, un projet d’assassinat de Salman Rushdie, le nouveau président n’est pas seulement ce dirigeant modeste et pieux que décrivent à l’envi les médias. C’est un personnage brutal. C’est un homme qui a du sang sur les mains. C’est un criminel de bureau, peu connu des opinions, mais familier des services de renseignement qui voient en lui, non sans raison, l’un des agents de cette part du terrorisme international dont l’Iran est, depuis vingt ans, la plaque tournante. L’Iran, avant lui, était déjà un Etat terroriste. Que sera-t-il avec lui ? Comment faudra-t-il qualifier un Etat dont le président lui-même est un terroriste ?
Sur la question du nucléaire, enfin, le nouveau président aura été, au lendemain de son élection, on ne peut plus clair. L’Iran, a-t-il promis, redeviendra, sous son règne, un Etat islamique « exemplaire et puissant ». Le statut de puissance nucléaire redevient, a-t-il précisé, un élément non négociable de la « fierté nationale » de son peuple. Et, à l’attention de ceux qui n’auraient pas compris, ce sophisme extraordinaire, digne des meilleures anthologies de la mauvaise foi politique : « l’énergie nucléaire est le résultat du développement scientifique du peuple iranien – nul ne peut interdire au peuple iranien le chemin de son développement scientifique »… Ajoutez la haine d’Israël, constitutive de sa vision du monde. Ajoutez l’antiaméricanisme quasi coréen d’un responsable qui ne craint pas d’annoncer qu’il engagera son pays sur la voie de l’autosuffisance et qu’il se fiche donc des menaces de l’Empire. Le résultat, c’est un second pays qui, comme le Pakistan, aura bientôt le double et redoutable privilège de détenir l’arme atomique ainsi que, j’en ai peur, l’idéologie qui va avec…
Comment en est-on arrivé là ? Comment l’Iran dont on nous décrivait les irrésistibles progrès démocratiques a-t-il pu se résoudre à pareille régression ? Un scrutin douteux, chacun l’a dit… Des irrégularités, c’est acquis… Des centaines de candidats empêchés de se présenter, bien entendu… Sauf que rien de tout cela n’aurait suffi sans un autre facteur que l’on a sous-estimé et qui mettait la machine en mouvement. L’Etat iranien était, demeure, un Etat totalitaire. La société iranienne était, demeure, gouvernée par l’une de ces idéologies de granit dont Soljenitsyne disait qu’elles sont le propre du fascisme. Ces bataillons, par exemple, de Pasdaran et autres Bassidj qui ont terrorisé les uns, soudoyé les autres, tabassé les journalistes à l’entrée des bureaux de vote et dont la preuve est ainsi faite qu’ils continuent, plus que jamais, de quadriller la société – n’étaient-ils pas des sortes de SA, à la solde du Guide suprême et de son nouveau chef de cabinet, le président Mahmoud Ahmadinejad ? Le vent de la liberté, certes. L’admirable résistance de la société civile, bien sûr. Mais aussi, malheureusement, les héritiers des premiers ayatollahs et de leur ordre noir – que l’on a, un peu vite, eu tendance à enterrer.
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