Une nuit sans sommeil dans la tête d’un écrivain. Pas n’importe quelle insomnie : une farandole affolante et affolée. Pas n’importe quel auteur : « BHL ». Pour certains, ce sigle est devenu objet de tant de haine qu’ils n’ouvriront même pas le livre, le maudissant avant la première ligne. D’autres se défieront des postures qui composent, depuis des décennies, caricature et légende de Bernard-Henri Lévy. Tous ont leurs raisons, mais tous auront tort.
Nuit blanche est un texte inattendu, souvent touchant. La face cachée, intime, à vif, d’un personnage trop fabriqué pour être réel. Derrière l’image publique, un homme cesse de faire le malin, expose sa fragilité. Il ne dort pas. Depuis de très longues années, il a égaré la recette. Pour les autres, le « sommeil sûr dans un corps sain ». Pour lui, un continent perdu. Il a tout essayé, au fil des décennies, centres médicaux et cercles marginaux. Échec répété des thérapies de toutes sortes. L’écrivain a perdu le sommeil comme d’autres perdent la vue. Le jour disparu, son esprit voyage de l’autre côté du monde. « La nuit, tout prend des dimensions. » Le monde se ressent et se formule autrement.
Comme cette nuit-ci, dont le récit, heure par heure, en évoque mille autres, carrousel où défilent visages et souvenirs, exaltation et confusion, démesure et passage à vide. Le « cinéma intérieur », selon la belle expression du neurologue Lionel Naccache pour désigner la conscience, se dérègle et s’emballe. Surgissent des morts, amis célèbres, résistants obscurs, soldats israéliens, enfants de Gaza….
Déferlent ses terreurs, ses idées noires, la meute à ses trousses, les pensées accélérées, en roue libre. Analyses politiques et scènes d’enfance, convictions et atermoiements se succèdent à toute vitesse. La tête sans sommeil est « une usine qui ne s’arrête jamais ».
Mallarmé comme somnifère
Faute de fermer l’œil, l’insomniaque joue les bravaches. Face aux horreurs du monde, il y aurait un « devoir d’insomnie », partagé par une confrérie de combattants éparpillés, héros de l’ombre, éveillés permanents. Le sommeil serait carrément haïssable, mortifère, immoral… Veule et lâche, tant qu’on y est. D’ailleurs, dormir empêche d’écrire. Mieux vaudrait mourir éveillé, « plus haut que son lit ». Cette exaltation dure, mais finit par cesser. Terminés, la grandiloquence, les fantômes, les plaidoyers et même les touches d’humour, telle l’utilisation de Mallarmé comme somnifère.
Ne reste que le noir. Sans point d’appui, sans issue. L’effroi, le vide, à bout de forces. L’animal affolé ne veut plus qu’une chose : que ça s’arrête. La pilule magique est son dernier recours. Abandonner Mallarmé, inefficace, choisir plutôt une molécule, parmi les dizaines testées et comparées une vie durant, et attendre. Bien calculer le compte à rebours avant extinction de la tête, pour éviter les chutes, ou l’envoi de messages incohérents.
Dans cette confession haletante, on retrouve évidemment des thèmes récurrents de Bernard-Henri Lévy, ses obsessions, ses qualités comme ses travers, ses nombreux livres, ses films et ses combats. Mais insomnie et vulnérabilité le font découvrir autre. Elles se révèlent, surtout, moteurs cachés de l’écriture. Le rythme des phrases, leur cadence, leur scansion proviennent de cette pulsation qui, chez l’écrivain, résiste au sommeil. Ce qui ne dort jamais, en fin de compte, c’est le style.
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