C’est l’histoire de Begin signant, avec l’Égypte, la paix dont la gauche avait rêvé. C’est celle, toutes proportions gardées, du général de Gaulle lançant aux pieds-noirs le fameux « je vous ai compris » avant d’opérer son grand virage historique et de rendre l’Algérie aux Algériens.

Oh ! certes, nous n’en sommes pas là.

Les extrémistes juifs, les partisans du Grand Israël, les hommes et les femmes dont le tort fut, bien souvent, de prendre au mot les gouvernements de droite et de gauche qui les ont, depuis trente ans, installés dans les colonies, pèsent et pèseront de tout leur poids pour enrayer le processus.

Les faucons palestiniens, les gens, notamment, du Hamas et du Djihad islamique qui disent et répètent, aujourd’hui encore, que leur but n’est pas de bâtir la Palestine mais de détruire Israël, ces tueurs de civils juifs qui se moquent comme d’une guigne des souffrances de leurs « frères » de Naplouse et Ramallah pourvu qu’ils puissent continuer de verser le sang, risquent à tout moment, aujourd’hui peut-être, ou demain, de déclencher l’attentat suicide qui remettra tout en question.

Nul ne connaît non plus les intentions d’Arafat, pas davantage, d’ailleurs, que la marge de manœuvre qui lui reste vis-à-vis d’Abou Mazen – rien ne permet de dire si le leader de l’OLP, qui a toujours préféré son rôle de nouveau Saladin, incarnation de la revanche arabe, à celui, plus humble, moins flatteur, de bâtisseur d’un petit Etat, installé à côté d’Israël, dispose toujours, ou non, d’un pouvoir réel de nuisance.

Et quant à Sharon lui-même, il faudrait être naïf pour ne pas imaginer les mille arrière-pensées qui, à cet instant, l’assaillent : croit-il à ce qu’il dit ? est- il décidé, pour son dernier combat, à en finir avec l’« occupation » de la Cisjordanie ? l’Etat palestinien auquel il songe sera-t-il doté, vraiment, de cette continuité territoriale qui, seule, le rendra viable ? ou est-ce la dernière ruse de Fregoli, une manœuvre à double ou triple bande – un truc de politicien qui ferait juste le gros dos en attendant la réélection de George Bush ?

Bref, on peut multiplier les objections. Et il n’est pas interdit de voir dans la « feuille de route » la énième édition de ces éternels « plans de paix » qui n’en finissent pas, depuis trente-six ans, de ressusciter et de mourir car ils sont, en réalité, mort-nés.

Reste que des mots, de part et d’autre, ont été dits ; qu’ils ont, comme souvent en politique et, en particulier, dans cette région du monde, le poids et la gravité des choses ; et que l’on ne peut s’empêcher, lorsque l’on est, comme moi, et depuis toujours, éperdument attaché à la cause d’Israël en même temps qu’à celle de la justice à l’endroit des Palestiniens, de reprendre timidement espoir.

Si j’étais palestinien, je soutiendrais Abou Mazen, le plus faible, mais le plus courageux des dirigeants de Ramallah : le seul à avoir osé proclamer, en pleine Intifada, que le salut n’est pas dans le martyre mais dans la reconnaissance mutuelle de deux nations qui n’en peuvent plus de se faire la guerre.

Si j’étais propalestinien dogmatique, si j’étais l’un de ces Occidentaux qui ont, ces dernières années, embrassé sans nuances, jusqu’à l’ivresse, la cause de Yasser Arafat, je retournerais sans tarder à la Mouqata’a et déploierais la même énergie pour tenter de le convaincre qu’il tient, avec la feuille de route acceptée par son Premier ministre, sa dernière chance de ne pas rester dans l’Histoire comme le fossoyeur de la cause palestinienne : « une paix n’est jamais parfaite, je lui dirais ; toute paix suppose des compromis et tout compromis des sacrifices ; ne laissez pas à nouveau passer, comme à Camp David et à Taba, l’occasion de donner à votre peuple l’Etat auquel il a droit ».

Si j’étais israélien, si j’étais engagé, là-bas, dans le débat politique entre la droite et la gauche, j’oublierais provisoirement ce débat, je mettrais en suspens mes griefs à l’endroit du Premier ministre, je ferais ce qu’ont fait les électeurs français, après le 21 avril, en plébiscitant, non Chirac, mais les valeurs républicaines dont il était le rempart : je m’appliquerais à délikoudiser Sharon ; je soutiendrais Sharon parce qu’il défend non le Likoud, mais Israël, c’est-à-dire la paix ; je prendrais au pied de la lettre le premier homme d’Etat israélien de ce niveau à avoir, je le répète, brisé le tabou en parlant de la Cisjordanie comme d’un territoire, non disputé, mais occupé ; et, sans rire, reprenant le bon vieux slogan de l’extrême gauche à Tel-Aviv, j’irais, sous ses fenêtres, crier, non plus « Shalom archav » (« La paix maintenant »), mais « Sharon archav » (« Sharon maintenant » ; avant toute chose, maintenant, la paix – fût-elle celle de Sharon).

Comme je ne suis ni israélien ni palestinien mais français, je veux juste dire qu’il y a peut-être là un rendez-vous auquel il serait judicieux que les Européens répondent, eux aussi, à leur façon, présent : pourquoi ne pas oublier les partis pris, les vieux réflexes, les incantations, pour appuyer les faiseurs de paix, aider les protagonistes à se hisser, encore un peu plus, au-dessus d’eux-mêmes et inviter, par exemple, Abou Mazen et Ariel Sharon – ensemble – à Strasbourg ou Paris ?


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