Slava Ukraini (Gloire à l’Ukraine), c’est le titre du dernier film de Bernard-Henri Lévy. Et c’est aussi une expression lourde de sens, car ce salut national – Slava Ukraini – fut popularisé pendant la guerre d’indépendance de 1917 et interdit par les Russes. Il est évidemment repris aujourd’hui par tous les Ukrainiens. L’affiche du film, pleine de fougue, est un peu la réplique du célèbre tableau de Delacroix, La Liberté guidant le peuple, peint en 1830, qui célèbre la révolution des Trois glorieuses en France. Mais là-bas cela fait un an exactement que dure la guerre… ce courage des combattants de la lumière n’a pas diminué, comme nous le montre Bernard-Henri Lévy à chaque seconde de son film magnifique, où l’émotion cède le pas à tout autre sentiment.
Véritable plongée à l’intérieur des terres, Slava Ukraini va au plus près du cœur de la guerre et de sa population. Et voici notre bel Artaban, notre Solal national celui que les dieux de l’Olympe accompagnent dans sa traversée du Styx qui se transforme en « petit père » du peuple ukrainien. Quelle image foudroyante d’un Tolstoï, bien russe, qui se serait égaré ailleurs.
Mais le malheur n’a pas de frontière et Bernard-Henri Lévy passe d’un danger à un autre pour mieux appréhender ces ciels encombrés de missiles qui pleuvent sur ce sol meurtri, ces mines de charbon durement exposées dans lesquelles il va descendre au fond sans peur et rampant tel le fils de Gervaise, et le voyant ainsi filmé dans une solitude, je ne peux que me rappeler les premières phrases du roman de Zola, mon livre de chevet, jadis : Germinal. Une seule idée occupait sa tête vide d’ouvrier sans travail et sans gîte, l’espoir que le froid serait moins vif à la levée du jour. Mais revenons à l’âme slave qui traverse aussi notre philosophe et qui, sur sa route d’infortune, étreint ces femmes qui pleurent, ces guerriers farouches que rien n’arrête, et ces villes tracées savamment par notre mage. Il dit : « Nous avons, au lendemain de l’invasion russe, tourné un film Pourquoi l’Ukraine, documentant les premiers mois du calvaire ukrainien et diffusé sur Arte. Ce nouveau film reprend là où l’autre s’arrêtait. C’est un journal de bord tenu dans la seconde moitié de l’année 2022 et où l’on a tout consigné : petits et grands événements, aléas, émotions, témoignages de vivants et deuils, chronique du front et des villes bombardées, portraits. Le film commence à Kharkiv, dans le Donbass. Il s’achève à Kherson, au lendemain de la libération de la ville, puis à Ochakiv, la base d’où partiront peut-être les unités d’élite livrant la dernière bataille de l’Ukraine contre l’occupation russe et ses ravages. »
Il sait, lui, cette guerre injuste et il veut la défendre avec ses mots, ses images qui sont ponctués comme une litanie incessante par sa voix si belle et obsédante. La musique composée par Sviatoslav Vakarchuk est mélancolique : piano solo, c’est une pluie de bonheur coloré sur un monde noir comme une apocalypse revisitée par le seigneur des lieux. Slava Ukraini n’est pas un documentaire ni un film d’archives, c’est une portée de notes où toutes les gammes des sentiments humains sont déclinées. C’est aussi une guerre tournée aux frontières de notre Europe et dont l’issue déterminera le monde de demain ; l’Ukraine est aussi notre rempart, nous dit-il. Slava Ukraini, c’est l’amitié qui se poursuit : une histoire une complicité avec ses compagnons de route : le producteur François Margolin, Gilles Hertzog, Michèle Halberstadt, grande journaliste, écrivaine, devenue distributrice. Et pour reprendre cette parfaite définition d’Alexis Lacroix : « C’est un film bouleversant, incandescent de romantisme évidemment, mais à juste hauteur de bravoure et de tragédie ; un Tikoun salutaire et admirable. » J’ajouterai pour terminer sur Amos Oz, chantre de la paix, disparu hélas, que Slava Ukraini est « une histoire d’amour et de ténèbres ».
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