Désolé pour la vanité gauloise.

Mais l’événement de la semaine ce n’est pas, cette fois, le CPE.

Ce n’est pas la rivalité Villepin-Sarkozy ni la déferlante tatamaniaque.

Ce sont les informations qui nous arrivent du Darfour et qui indiquent que cette guerre commencée il y a trois ans et, dans l’ensemble du Soudan, presque un demi-siècle plus tôt est sur le point d’atteindre des sommets de sauvagerie et d’horreur.

On savait pour les villages rasés par les avions venus des bases d’El Obeid et de Port Soudan.

On savait pour les colonnes de Janjawids, littéralement d’« hommes armés et à cheval », venant, après les bombardiers, finir les survivants à l’arme blanche.

On connaissait – j’ai dénoncé, ici même, dans ces colonnes, après mon séjour de 2001 dans les maquis John Garang – la pratique du viol de masse devenu, comme en Bosnie, une arme de conquête et de guerre.

On n’ignorait rien, enfin, de la nature raciste, purement raciste, d’un conflit qui, les tribus Zaghawas et Massalits en révolte contre Khartoum étant, elles aussi, musulmanes, n’a plus, comme dans le Sud, l’« excuse » de la guerre de religions et offre donc l’image d’une guerre dont le seul ressort est la haine, par les Arabes blancs du Nord, d’une population dont le crime est d’avoir la peau trop noire.

L’élément nouveau, pourtant, c’est la façon dont le régime vient, jusqu’à la toute dernière minute, de tenter d’empêcher le déplacement dans les zones sinistrées d’un représentant de Kofi Annan.

C’est le harcèlement des ONG européennes et, notamment, norvégiennes qui continuaient, vaille que vaille, de tenir entrouverts les corridors humanitaires et que l’on force à plier bagages.

C’est le cynisme avec lequel les milices appliquent la loi du 20 février 2006 interdisant toute « organisation étrangère » dont l’activité pourrait sembler constituer, sic, « une ingérence » dans les « affaires intérieures du Soudan » et empiéter ainsi, re-sic, sur la « souveraineté » d’un Etat revendiquant le libre droit d’exterminer comme il l’entend.

L’événement nouveau c’est, en un mot, la déclaration de Juan Mendez, chef du bureau onusien chargé de la prévention des génocides, annonçant que cette politique d’éloignement forcé des ONG pourrait être le signe que le régime est passé à la dernière étape de son plan – celle où il ne peut ni ne doit plus y avoir de témoins…

Alors il y a des gens qui, face à tant d’atrocités, condamnent le principe même d’une intervention qualifiée par avance de « néocoloniale » : c’est le cas de la Ligue arabe.

Il y a ceux que cette guerre du bout du monde, où l’on ne voit plus s’opposer de méchants riches européens et de gentils pauvres du tiers monde, n’intéresse tout bonnement pas : ah ces néoprogressistes tellement plus bavards quand il s’agit du conflit israélo-palestinien ! ah ces anti-impérialistes et autres altermondialistes qui, s’agissant d’une guerre qui a fait cinq cents fois plus de morts mais sans que ni, donc, Israël ni l’Occident y aient la moindre part, n’ont tout à coup plus rien à dire !

Il y a, en France, ces organisations dont on croyait qu’elles avaient pour devoir et spécialité de défendre les minorités noires victimes, soit de discriminations, soit de déni de mémoire, et qui, elles aussi, brillent par leur silence : parce que l’ennemi n’a plus le visage, là non plus, du Juif négrier et pilleur de forêts africaines ? parce que cette guerre entre musulmans arabes et non arabes complique, à nouveau, le vieux schéma ? parce que c’est la confirmation terrible, par les faits et par le feu, de la thèse des historiens expliquant que le massacre des Noirs d’Afrique fut un crime africain et, en particulier, arabe autant qu’occidental ? parce qu’elle est la preuve, par exemple, que ceux qui, l’an dernier, voulaient faire inculper pour révisionnisme un Olivier Pétré-Grenouilleau étaient, non seulement des ignares, mais des salauds ?

Bref il y a tous ceux qui ont une raison, chaque fois différente, de se sentir gênés, et qui aimeraient bien que ce qu’El Bachir a à faire, il le fasse vite, et sans bruit.

Mais les autres ?

Tous les autres ?

Mais tous les gens normaux qui, comme vous et moi, avaient juré : « plus jamais Auschwitz », puis « plus jamais la Bosnie », puis, « jamais, non, plus jamais, la honte du Rwanda » ?

Mais Kouchner, l’ami Kouchner, qui inventa le devoir d’ingérence ?

Mais Mandela, le grand Mandela, en qui s’est incarné, un moment, la conscience et la noblesse des hommes ?

Mais les États-Unis d’Amérique ?

Mais la France et sa diplomatie africaine ?

Mais tous ceux et celles qui, en France, se sont, telle Madame Taubira, institués les avocats de la cause des Noirs et que l’on aimerait, oui, tellement entendre ?

Que le problème ne soit pas simple, j’en conviens.

Mais qu’il soit cent fois moins compliqué que la destitution de Saddam Husssein, il faut aussi en convenir.

Que dire stop à Khartoum ne demanderait pas beaucoup plus d’effort qu’il n’en fallut, il y a dix ans, après cinq ans d’atermoiements et de lâchetés, pour dire stop à Milosevic, nous le savons.

Alors qu’attendons-nous ?

Chaque jour qui passe est un jour de honte et de défaite.

Ou bien nous conjurons le face à face ; nous dialectisons ce que les jusqu’au-boutistes rêveraient de voir s’opposer ; nous nous servons de l’opinion pour éclairer les représentants et des représentants pour médiatiser la chaleur de l’opinion ; et alors, de cette crise, un bien sortira peut-être – la France, risée du monde, redeviendra, qui sait ? l’un des laboratoires où se produit la démocratie de demain.


Autres contenus sur ces thèmes